"Ci-gît Georges
Fourest; il portait la royale
"tel autrefois Armand
Duplessis-Richelieu,
"sa moustache était fine et son âme
loyale!
"Oncques il ne craignit la vérole ni
Dieu!..."
Cette
épitaphe se trouve dans l' Epître falote
et testamentaire pour régler l'ordre et la marche de mes funérailles, dont je veux me faire le plaisir de citer
les deux premiers quatrains:
"Il ne
me convient point, barons de Catalogne,
lorsque je
porterai mon âme à Lucifer,
qu'on
traite ma dépouille ainsi que la charogne
d'un employé de banque ou de chemin de fer;
que mon enterrement soit superbe et farouche,
que les
bourgeois glaireux baillent d'étonnement
et que Sadi
Carnot, ouvrant sa large bouche,
se dise :
"Nom de Dieu! Le bel enterrement!"
et encore
celui-ci :
"Ce
gâteau de Savoie ayant Hugo pour fève,
le
Panthéon classique, est un morne tombeau
pour moi
j'aimerais mieux (que le Dyable m'enlève!)
le gésier
d'un vautour ou celui d'un corbeau !"
Pourquoi parler
de Georges Fourest aujourd'hui? C'est que,
en écrivant avant-hier un billet sur un propriétaire lésé, me trottaient
naturellement en tête les strophes du Pseudo-sonnet
moratorium que Georges Fourest dédia "à mon propriétaire" et où ,
après avoir averti que " ce trimestre-ci, // je compte négliger de vous payer
mon terme ", il terminait par :
"En
attendant, mon cher, ce qui surtout importe
c'est que
vous ne pouvez me flanquer à la porte,
Pour acompte agréez ce sonnet goguenard."
Mais Georges
Fourest était honnête homme, lui, et il ajoute, en prose , que si son
propriétaire pensa "mourir de rage" en recevant ce sonnet, celui-ci,
huit jours après, "manqua trépasser
d'allégresse en recevant le montant du terme qu'il avait cru à l'eau. Ainsi,
par deux fois, je faillis causer la mort de cet honoré philanthrope."
Poète d'un
lyrisme flamboyant, au verbe rabelaisien et à l'inspiration très iconoclaste ,
Georges Fourest ( 1867-1945) fut un paisible bourgeois vivant de ses rentes et
catholique pratiquant; il n'aimait pas les sciences exactes et donnait dix
francs à son fils chaque fois que celui-ci obtenait un zéro en mathématiques.
Je lui tiens à mérite de n'avoir que peu écrit , trois recueils seulement : La Négresse blonde ( 1909) , Contes pour les satyres (1923) et Le Géranium ovipare (1935).
Cet
imprécateur ironique, qui aime le mot rare et le néologisme baroque, savait
aussi extraire l'essence des grands classiques, comme le montre, dans sa série
du Carnaval de chefs-d'œuvre, la
chute de son sonnet du Cid :
"Dieu!" soupire à part soi la plaintive Chimène,
"qu'il est joli garçon l'assassin de Papa! '
Pour ces
deux seuls vers de Georges Fourest, je
donne volontiers les opera omnia du
trio stalinien Char/Eluard/Prévert.
PS. Les
œuvres de Georges Fourest sont toujours disponibles chez son éditeur José
Corti. Les bibliophiles rechercheront la très jolie édition complète en un
volume relié et illustré de 254 pages
publiée en 1957 par le Club du meilleur
livre.
Les bibliophiles avertis trouveront, chez Abebooks, une édition originale du "Géranium ovipare", un exemplaire du service de presse, signé par l'auteur avec une dédicace à Jean Paulhan.
RépondreSupprimerEt en "entrée de gamme", il y a l'édition de "semi-poche" Grasset/Cahiers rouges.
RépondreSupprimerD'où je conclus que Fourest a toujours des lecteurs (heureux).