Je crains que l'on ne remette pas demain en
usage dans les couvents où mûrit la jeunesse de tant de filles nobles cet
indispensable volume :
Grammaire des Dames, ou Nouveau traité
d'orthographe françoise; Réduite aux règles les plus simples, et justifiée par
des morceaux choisis, de poésie, d'histoire etc.
Ouvrage
dédié et présenté à Madame la Marquise de Sylleri, ci-devant Comtesse de Genlis
Par M. l'Abbé Barthelemy, de Grenoble (
quatrième édition, Lyon, 1789, in-8, 312 pages)
Je note tout
de suite que l'on écrit aujourd'hui Sillery
et non Sylleri (ah! L'orthographe des
noms propres, et l'y baladeur...) et relève l'emploi d'un ci-devant dont notre auteur ne pouvait deviner la funeste vogue
quelques mois plus tard.
Ma
référence aux couvents est fondée, car l'abbé Barthelemy écrit d'emblée dans sa
préface; " Cet ouvrage pourra
percer maintenant les grilles les plus austères ( si je puis m'exprimer ainsi
)."
Et il ajoute :
"On ne s'est point encore avisé d'exiger
d'une personne bien née, qu'elle fût savante; on lui ferait même un crime
d'étaler l'érudition. Mais la connaissance dont on ne fait point de grace, est
celle de sa propre langue. En effet, l'ignorance de ses règles n'est excusable
que parmi le peuple."
Avant
de revenir sur l'excellent précepte ici énoncé, ne nous étonnons pas qu'en 2013
l'ignorance de la langue se manifeste partout – c'est qu'aujourd'hui, le peuple est partout.
Quant à demander aux demoiselles bien nées de
savoir leur langue, et de ne point être pédantes, c'est là un dessein
honorable, et même suffisant pour tenir son rang en société, mais comme il n'ya
plus désormais ni rang ni société... – non, je ne rabâcherai pas sur notre
misérable époque, regardons plutôt la méthode de l'abbé Barthelemy.
Il commence
par exposer ce que sont les mots,
composés de syllabes où l'on trouve
des voyelles et des consonnes, ainsi que parfois des diphtongues, puis en vient au genre et au nombre , et au substantif,
à l'adjectif, à l'article, au pronom, au verbe (conjugaison, temps, mode , et table des conjugaisons ) -- tout cela existait encore dans mon
enfance, et c'est ce qui me fut appris, avec succès.
Une fois que
nos demoiselles ont étudié ces matières, avec des exemples tirés des meilleurs
auteurs ( surtout des poètes abusant un peu des héros de la mythologie ), puis
se sont initiées aux accents, à l'apostrophe et à la cédille, aux guillemets
et parenthèses, aux lettres capitales ou majuscules etc. ( j'abrège, mais rien ne manque ) et enfin aux règles de la ponctuation ( qui ne sont
plus les nôtres ), l'abbé Barthelemy les met en garde contre les homonymes. Il leur consacre
trente-quatre pages -- ne confondez pas
" prou et proue ",
"reinette et rénette" , "ras et rat" , " Puy, puis et
puits" ou encore "conquête et conquette". Près de cent pages
permettent de préciser le sens de multiples synonymes
, une cinquantaine permettent de redresser les prononciations vicieuses ( aujourd'hui précieuses pour découvrir
comme l'on pronçait jadis) et l'ouvrage se clôt sur la prosodie, ou manière de
proncer chaque syllabe régulièrement.
Ainsi
apprenait-on autrefois sa langue, et
parvenait-on à la maîtriser – et que ne redonne-t-on pas dans les petites
classes de semblables manuels! D'autant que le sexe n'étant plus qu'un vague fait culturel, ce qui faisait autrefois
l'instruction des filles sera désormais tout aussi bon pour les garçons.