david in winter

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Editeur. Ecrivain. Dilettante

vendredi 28 février 2014

Un scandale heureusement dénoncé



   L'annonce d'une nouvelle augmentation, malgré de fines manipulations statistiques et catégorielles, des chiffres du chômage n'a pas fait grand bruit, ni inquiété le Président, parti chercher en Afrique une chaleur que lui refuse en cette saison le climat gaulois, chaleur dont l'absence n'est pas compensée par la tiède affection de son peuple.
   Les événements exotiques ont, eux,  discrétement quitté le tumulte des breaking news pour retourner aux modestes rubriques informant de l' étranger, entre mots flêchés, notices nécrologiques et résultats de tournois de ping-pong.
   Bref, il ne se passerait rien, si une gazette hebdomadaire, propriété d'un rusé affairiste également connu pour ses fâcheux goûts artistiques, n'avait entrepris de dénoncer, révéler et dévoiler une affaire , frôlant le scandale  et effleurant la magouille, mettant en cause une sorte de politicien qui se plaça à la tête d'un parti, que ledit hebdomadaire soutient tout en espérant le voir succomber (cette attitude s'explique par une lecture hâtive de Machiavel, et des rivalités de personnes que nous laissons à la presse pipole le soin de dévoiler, surtout s'il s'agît d' histoires de femmes).
   L'affaire, il est vrai, est grave, passionne l'opinion et divise les familles ( voir le fameux dessin de Forain illustrant les effets néfastes d'une précédente affaire sur l'harmonie d'un repas familial) et consiste, semble-t-il, en une histoire de gros sous.
   Ce politicien, dont le patronyme ne souillera pas ce billet, est accusé d'avoir confié le soin, rétribué,  de la propagande de son parti à une entreprise dirigée par des amis, ce qui est évidemment un crime, eût-il passé contrat à une société appartenant à des ennemis, cela eût été faire preuve d'un esprit de charité et d'inclination au vivre-ensemble dont il n'eût pu être que loué.
   Ce n'est pas là le pire.
   Car, nous apprend la gazette de l'esthète dont l'inculture fait la fortune de roublards galeristes, il y a eu surfacturation.
   Ce vilain néologisme semble signifier que des prestations ont été vendues bien au-dessus du juste prix, -- quel était, en l'occurrence ce juste prix ? Les fins limiers qui ont enquêté sur  l'affaire qu'ils ont créée ne peuvent le dire concrétement, et ne le peuvent pas car il n'existe ici nul critère objectif, nulles prestations en ce domaine , où l'immatériel , nommé promotion, domine , ne pouvant être rigoureusement identiques (ayant fait appel à de telles agences, je parle d'expérience).
    Mais ce n'est pas ce que dit surfacturation qui importe, non,  c'est ce qu'implique le vocable.  Et ce qui est impliqué est que le fournisseur ristourne clandestinement au donneur d'ordre une partie de la somme versée pour régler sa surfacture.
    Traduisons. Le monsieur qui passe commande dit à l'entreprise amie : " Ton boulot, ça vaut trois patates, tu m'en factures quatre et tu m'en redonnes une en petites coupures non numérotées". (Dans la langue des politiciens et des joueurs de poker, une patate vaut un million de la monnaie en usage).
   Cette pratique est très vilaine, car les sommes ristournées échappent à la spoliation fiscale, d'où la malédiction, assortie de peines de galères, qui la frappe.
   Dans le cas précis, l'accusation portée contre le politicien est habile (vicieuse ?) car si la nature même de cette "surfacturation" la rend impossible à prouver, cette même nature rend tout aussi impossible de s'en disculper, et l'on trouvera autant d'experts affirmant que le montant facturé était le juste prix que de contre-experts jurant le contraire.
   Je n'ai nulle intention de défendre le politicien cloué aujourd'hui au pilori médiatique, ni d'ailleurs de le vouer aux gémonies, qu'il tombe, et le remplacera son exact semblable, plus intéressant est la structure d'une dénonciation journalistique faisant passer des insinuations incontrôlables pour des preuves. Et distillant des accusations telles que l'opacité de l'actionnariat de la société prétendue surfactureuse -- au nom de quoi une société privée devrait-elle crier sur la place publique les identités de ses actionnaires ?
   La méthode est loin d'être nouvelle, et je pense que plus personne n'en est dupe, mais elle est toujours efficace pour salir, elle resservira donc, encore et encore.

mercredi 26 février 2014

Victimes : une consolation de Marcel Proust



  Petit rappel : le 12 juillet 1906, la Cour de Cassation casse l'arrêt condamnant le capitaine Alfred Dreyfus, sans renvoi devant une Cour d'appel, ce qui est curieux.
  Le lendemain, les députés votent une loi réintégrant le capitaine dans l'armée en l'élevant au grade de chef d'escadron , lui octroient en prime la légion d'honneur, et réintègrent également dans son corps, au grade de général de brigade, le colonel Picquart, qui en avait été chassé pour avoir défendu Dreyfus.
   Le 26 du même mois, dans une lettre adressée à une amie, Mme Straus, Marcel Proust, qui aime souffrir et s'en plaindre,  met en parallèle ses malheurs privés et des malheurs publics plus éclatants, et écrit :
   "(...) tout ce que j'ai pu rêver de la vie me sera de plus en plus inaccessible. Mais pour Dreyfus et Picquart, il n'en est pas ainsi. La vie a été pour eux providentielle à la façon des contes de fées et des romans-feuilletons. C'est que nos tristesses reposaient sur des vérités, des vérités physiologiques, des vérités humaines et sentimentales. Pour eux, les peines reposaient sur des erreurs. Bienheureux ceux qui sont victimes d'erreurs judiciaires ou autres ! Ce sont les seuls humains pour qui il y ait des revanches et des réparations." (Proust, Correspondance, ed. Kolb, tome VI).
   On pourrait, en chipotant, estimer qu'être enfermé au bagne de l'Ile du Diable peut être ressenti par le prisonnier comme une vérité, et même une vérité physiologique, et que si la condamnation est une erreur, le châtiment est, lui, une réalité, mais ce serait là manifester un mauvais esprit dont je me garde.
   Regardons plutôt le destin de Calas et du chevalier de La Barre , qui se réjouissent d'une gloire inespérée acquise pour avoir subi, à tort, le supplice de la roue.
   Certes, ne pas être invité à une soirée de M. Robert de Montesquiou est un malheur d'autant plus cruel qu'il ne sera suivi d'aucune réparation inscrite dans les manuels d'Histoire et sur les socles des statues, et si ce qu'écrit Marcel Proust est logiquement et psychologiquement juste, et même finement vu, c'est néanmoins faux , car de tout malheur , et surtout le plus intime, le plus ignoré d'autrui, il existe une réparation, qui se nomme oubli.
  Oubli dont Marcel Proust a longuement exprimé (et exploré) les mérites et bienfaisants effets dans maintes pages admirables de A la recherche du temps perdu.
 

mardi 25 février 2014

Sodome en Afrique



   Voici un petit jeu pour journée pluvieuse.
   Il est juste besoin, pour le pratiquer, de disposer d'un ordinateur ou d'un smartphone connecté à internet ( attention : le bon vieux minitel a été définitivement déconnecté de tout accés au monde moderne), puis d'ouvrir Google et de cliquer sur la mention actualités.
   Presque aussitôt apparaîtront sur votre écran des lignes de textes, qui vous révèleront les actions  notables accomplies durant ces dernières heures par nos frères humains ( et même nos sœurs humaines, s'il s'avérait que la femelle de l'espèce fût plus proche de l'homme que de l'animal, malgrè les doutes exprimés sur ce sujet par saint Augustin et les Pères de l'Eglise).
   Précisons que ces actions nous sont présentées à travers un prisme (et le prisme déforme...), car ces actualités ne sont que des titres d'articles rédigés par des salariès d'entreprises de presse, autrement dit, non des faits, mais des récits de faits.
   Et pourquoi tel et tel titres plutôt que tel autre ? Ces titres sont innombrables, il faut donc faire un choix..., comment s'opére-t-il ?
   M. Google, en bienveillant apôtre du dieu internet, a décidé, pour éviter tout reproche de favoritisme, concussion, peut-être même : partialité, de confier ce choix à une machine; pour que cette machine effectue sa tâche, il faut qu'elle ait reçu des instructions, de qui ? Cela nous est celé.
   J'ai joué, et vu apparaître , blottie entre les habituels rumeurs et bobards ( pacte de marchandage, expéditions coloniales , loteries électorales, révolutions télévisées, etc. ) une curieuse législation adoptée par une démocratie exotique.
   Cette démocratie est l' Ouganda, contrée où , il y a assez longtemps, se rendit un ami journaliste pour y effectuer un reportage. Il y disparut, puis l'on retrouva, sur les rives d'un lac, ses restes criblés de balles, les parties manquantes ayant fait les délices d'indigènes crocodiles.
   Aujourd'hui, le M. Président local vient donc de promulguer une nouvelle loi punissant de prison perpétuelle les relations homosexuelles (aussi bien dame-dame que monsieur-monsieur) ; il annonça par un discours cette avancée sociétale (selon ses critères), s'élevant en même temps contre les gâteries buccales, précisant que "la bouche est faite pour manger, non pour le sexe". Il termina en s'élevant contre "l'arrogance des Occidentaux qui viennent recruter des homosexuels et des lesbiennes dans nos écoles."
   Soigneusement conçue et bien rédigée, sereinement exhaustive, cette loi n'oublie pas de punir quiconque ferait la promotion de l'homosexualité (dix ans de geôle), ou omettrait de dénoncer des homosexuels (même châtiment).
   Le mois dernier,dans une autre démocratie, le Parlement du Nigeria, pays le plus riche et le plus peuplé d'Afrique, avait adopté, à l'unanimité de ses membres, un ensemble de lois réprimant avec une implacable sévérité l'homosexualité , sa promotion, etc., et même la possession de clubs où pourraient se rencontrer les uranistes (comme écrivait André Gide).
  Au même moment, le quotidien-vespéral-de-référence relaye l'indignation de divers mouvements gays de l'Arizona, provoquée par le refus d'un pâtissier de confectionner un gâteau de mariage pour un sémillant couple unisexe.
   C'est effectivement là un geste (ou plutôt un non-geste...) propre à déclencher les fureurs du camp du Bien, quant aux lois qui condamnent les homosexuels africains aux pires souffrances, elles feront l'objet de discrètes protestations, de nul effet, et vite oubliées.
    Si en musique une blanche vaut deux noires, sur le registre de l' indignation, combien faut-il de millions de sodomites africains pour valoir un seul gay américain ?

lundi 24 février 2014

Ukraine, Nantes & the buttefly effect



    Lorsque le frêle papillon australien, désireux de courtiser Madame Papillon, s'approche de la belle d'un battement de ses ailes diaphanes, ce mouvement fait naître un souffle, menu vent qui traverse les océans, ateint une orgueilleuse mégapole, effleure, sur un toit hautain, une instable cheminée, à peine un choc, et pourtant la masse de briques tombe, choit sur la tête auguste du chief executive officer d'un géant de l'internet et du touitt phonètique, dont le trépas fait vaciller le NYSE 500, le CAC 40 et divers MM. Présidents.
   Cet inéluctable enchaînement d'une cause (menue) et d'effets (gigantesques) a été découvert, étudié, corroboré par de vaillants chercheurs, désormais théorisé , le voilà, sous le nom séduisant d' effet papillon, promu au rang de ces vérités scientifiques que répandent journalistes, penseurs et autres phares de la connaissance contemporaine.
   Un esprit logique ne trouvera rien à reprocher à ce charmant effet, tant il est vrai que toute cause a un effet, et que serait une cause sans effet ? (Ignorons les malveillants qui soupçonneraient ici un paralogisme et un raisonnement circulaire).
   Mais notre effet papillonesque n'est pas, en notre monde et au même moment, un évènement unique, (même si, ontologiquement, il est un bien évènement unique en soi), dans la réalité, il se produit d'autres événements, et tout évènement se trouve en concurrence avec ces autres évènements, qui peuvent en abolir les effets.
   Ainsi, le souffle venu du battements d'ailes irisées peut, en survolant les eaux houleuses du Pacifique, se heurter à un typhon surgi de ces mêmes flots, il s'y engloutira, et là mourra son effet.
    Car l'influence (ou effet ) de l'évènement dépend de sa puissance.
   Une expérience de réalisation aisée illustrera cette assertion.
   Faites, dans votre salon ou votre jardin, exploser d'une part un pétard de 14 juillet et, d'autre part, une bombe atomique semblable à celle qui eut un effet négatif sur la démographie japonaise.
  Ces explosions provoquent l'une et l'autre un souffle, mais vous pourrez constater par vous-même que, de ces deux souffles, l'effet n'est pas identique, et vous pourrez  justement conclure que certains évènements ont plus d'effet que d'autres.
   Les gazettes, que je parcours le matin pour prolonger mon sommeil, m'ont appris que s'étaient déroulés hier deux évènements : des émeutes en Ukraine qui ont entraîné un changement de personnel gouvernemental, des émeutes à Nantes qui ont entraîné des dissenssions dans un personnel gouvernemental.
   Il en est résulté deux flots d'ondes qui se sont propagées... jusqu'où ? Vont-elles atteindre, pour l'assombrir ou l'ensoleiller, le déjeuner du menuisier auvergnant, du paysan provençal ou du taxidermiste picard?
   Ou se sont-elles mutuellement annulées ?
   Il est toujours bon de commencer une nouvelle semaine par une interrogation métaphysique.