Parmi les
effets néfastes de cette inculture qui étend ses tentacules mortifères sur les
faibles cervelles de nos contemporains, un hasard m'a permis de relever qu'un
voile d'oubli recouvre aujourd'hui la pourtant fameuse querelle du peuplier.
Retraçons-en, pour l'édification des générations nouvelles et diverses, les principaux épisodes.
En février
1898, André Gide publia dans la revue
L'Ermitage un article critique sur Les
Déracinés de Maurice Barrès dont
demeurèrent célèbres la première phrase – " Né à Paris, d'un père uzètien
et d'une mère normande, où voulez-vous, monsieur Barrès, que je
m'enracine?" -- ainsi que
l'apostrophe finale –" Ce qui reste pourtant certain, c'est que, si les
sept Lorrains n'étaient pas venus à Paris, vous n'eussiez pas écrit Les Déracinés; que vous ne l'eussiez pas
écrit si vous-même n'étiez pas venu à Paris, et cela eût été extrêmement
regrettable (...)".
La chose
demandant réflexion, c'est en 1902 que M. René Doumic apporta son grain de sel,
en écrivant dans La revue des Deux Mondes
: "Le propre de l'éducation est d'arracher l'homme à son milieu
formateur.Il faut qu'elle le déracine : c'est le sens étymologique du mot
"élever"."
Cette
étymologie fut sursauter Charles Maurras, qui écrivit à son tour :"Ce
professeur se moque de nous. M. Barrès n'aurait qu'à lui demander à quel moment
un peuplier, si haut qu'il s'élève, peut être contraint au déracinement".
André Gide
ne pouvait laisser passer un tel propos sans réagir. Il le fit en publiant un
catalogue de pépinièriste, où on peut lire :" Nos arbres ont été
TRANPLANTES, 2, 3, 4 fois et plus, suivant leur force, opération qui favorise
la reprise."
Charles
Maurras riposta aussitôt. En l'absence de Marius, son vieux jardinier, il
convoqua "quelqu'un de ces grands amateurs de jardinage qui allient les
plaisirs de leur art à la haute culture intellectuelle" afin d'expliquer
comment, loin de déraciner, on éclaircit
le plant, et comment, lorsque l'on expédie de jeunes arbres "on
enveloppe les racines avec beaucoup de soin". Et Maurras conclut : "
Relever, dépiquer, repiquer, replanter , même arracher sont des opérations qui
n'ont rien de commun avec le déracinement."
Piqué sans
être dépiqué ni repiqué, André Gide crut l'emporter en rappelant : "je vis
neuf mois sur douze à la campagne, où je regarde plus mon jardin que mes livres"
ajoutant : "la Société des agriculteurs de Normandie accordait à ma
pépinière une première médaille il y a quelques années".
Cette
médaille arboricole a ainsi clos une polèmique , qui avait su s'élever
au-dessus de trop terrestres questions morales et sociales.
Je ne
suggérerai donc pas que l'immigration puisse être un déracinement, et que de ce
déracinement puisse découler quelques conséquences.