De toute
évidence, en nous livrant le récit de sa vie, Mme de Genlis ment, d'abord en
omettant ses galanteries passées – " Madame de Genlis, pour éviter le
scandale de la coquetterie, a toujours cédé aisément", écrira Talleyrand
qui l'a bien connue et la décrit comme une ambitieuse peu scrupuleuse qui
savait "adoucir sa morale pour subjuguer
tout ce qui était autour d'elle."
Mais elle
ne prétend pas avoir pris pour modèle saint Augustin et ses Confessions,et je lui pardonne volontiers de donner d'elle, lorsqu'elle publie ces Mémoires, en 1825, l'image pieuse et édifiante attendue par ses
lecteurs ( et surtout lectrices).
Je m'étonne
plus de certaines absences, comme celle de son mari, à peine cité, et avec qui
elle ne vit pas puisque, à trente ans, elle s'est enfermée au pavillon de Belle-Chasse,
construit dans la clôture d'un couvent parisien, pour y éduquer selon ses
principes les enfants du duc d'Orléans. J'ai été frappé d'un paragraphe
étrange, où elle exprime une sorte de regret de n'avoir pas suivi son devoir en se séparant de son
mari, lignes brèves, et séches. Et quand, le 9 novembre 1793, en émigration,
elle apprend la mort sur l'échafaud de ce mari, elle écrit : " Je fus
malade moi-même, pour la première fois depuis mon exil", rien de plus, et
elle en revient aussitôt à Mademoiselle d'Orléans, qui occupait les pages
précédentes.
Autre
absence... Après 1820, elle vit chez son gendre, M. de Valence, et pas un mot
sur sa fille, dont le nom passera, parmi d'autres, quand meurt M. de Valence...
Je ne
chercherai pas à percer le mystère de
ces silences qui nous dissimulent ses proches, je préfère admirer la prodigieuse
activité de la comtesse; elle joue de la musique, de la harpe en virtuose et
maîtrise à ravir tout autre instrument, elle lit, tout, des Anciens aux
Modernes et de toutes ces lectures rèdige des extraits formant des dizaines de cahiers, elle herborise et dessine
et calligraphie des herbiers, apprend à son entourage comment sècher les
fleurs, coud et brode, reçoit et sort, et elle éduque, enseignant plus de six
heures par jour, et quand ses élèves sont adultes, elle se fait donner quelque
enfant de pauvre paysanne, qui a une
jolie figure,et à qui elle prodigue ses leçons – pour Talleyrand, c'est que
"le commandement lui est nécessaire."
Elle écrit,
avec une sorte de rage. D'abord des pièces de théatre, morales, pour
l'édification des enfants, puis des romans et des nouvelles où Talleyrand,
mauvaise langue, trouve "quelque
chose de la facilitè de ses premières mœurs" . Ruinée par la Révolution,
déménageant sans cesse de Londres en Suisse, de Belgique à Berlin, elle n'a pour vivre que la vente de
ses livres et jusqu'à sa mort elle n'aura plus d'autres revenus ( sauf, guère
longtemps, une pension de Napoléon, qui cherche à se l'attacher et lui enjoint
de lui adresser, chaque semaine, des réflexions sur l'état de la France...). Et
nouvelle énigme ... Pourquoi, sous la Restauration, ne reçoit-elle pas d'aide
de sa nombreuse famille, bien pourvue en terres, ni de ses très chers élèves ,
le duc d'Orléans et sa sœur, revenus au Palais-Royal et rentrés en possession
d'une bonne part de l'immense fortune familiale?
Sous Louis
XVIII, sa dévotion lui inspire d'étranges projets éditoriaux , et elle édite
une version expurgée d'œuvres de Voltaire et de Rousseau, elle en ôte impiètès et blasphèmes, y ajoute des
notes pour en montrer les erreurs. Elle veut faire subir le même sort à l' Encyclopédie de Diderot et d'Alembert ,
la lit pour cela deux fois en entier ( sauf la géomètrie et l'astronomie, précise-t-elle),
obtient des promesses de mécènes, cela n'ira pas plus loin.
Quant à ses
Mémoires, promis en dix tomes au
libraire Ladvocat, le texte se
métamorphose soudain car la voilà arrivée, dès le tome VI, aux années 1820,
alors elle remplit des pages et des pages avec une sorte de journal, suite
désordonnée de visites reçues et rendues, de soucis d'argent et de logement, et
même s'il est toujours plaisant de rencontrer Chateaubriand, j'ai plus parcouru
que lu ces tomes qui manquent de la grâce, du naturel et de l'entrain des
premiers volumes.
Enfin, nous
voici arrivés en septembre 1825, elle écrit : " Maintenant , j'ai terminé
mes mémoires; je puis dire, sinon avec les mérites, du moins avec vérité,ces
paroles de l'Apôtre : J'ai bien combattu,
j'ai gardé la foi, j'ai fini ma course " – mais nous ne sommes qu'à la cent onzième
page du huitième volume! Qu'importe ! Elle ajoute une sorte d'Art poètique, un Cantique des fleurs ou cours abrégé de botanique ( en vers, et
charmant), les tomes IX et X , eux, seront
complétés par les Souvenirs de Félicité,
galerie de portraits déjà publiée, mais alerte et piquante, un roman
épistolaire, quelques écrits divers, et le Dictionnaire
critique et raisonné des Etiquettes de la Cour, des mœurs et des usages du monde ( qui mériterait de lui
consacrer un billet).
Mme de
Genlis ne fut sans doute pas un grand écrivain, bien qu'elle ait souvent de
l'esprit, et de la verve, mais, oui, elle fut une combattante que jamais son
courage n'abandonna et en elle si je n'admire pas l'auteur, j'admire la femme.
Eh bien, vous m'avez pris de vitesse. Mais je vais tout de même tâcher d'écrire un billet sur Mme de Genlis cette semaine. Ce sera d'ailleurs sur une facette peu connue de son oeuvre, de sorte que je ne ferai pas double emploi.
RépondreSupprimerAu fait, avez-vous lu le livre de Gabriel de Broglie sur Mme de Genlis ?
RépondreSupprimerNon, je n'ai pas lu ce livre.
RépondreSupprimerEt ne craignez pas de faire double emploi, cher et rare lecteur, votre appréciation des Mémoires serait certainement neuve et enrichissante.
Je découvre que ce livre est évidemment épuisé, et que ce M. de Broglie a écrit une biographie de M. de Valence, où doit beaucoup passer Mme de G.
RépondreSupprimerIl est souvent intéressant, dans ces ouvrages historiques écrits par des descendants de familles aristocratiques, de voir comment l'Histoire se mêle pour eux à des traditions familiales. La transmission de la mémoire collective est, ou était, singulièrement longue dans ces familles-là. C'est vrai bien sûr de La Varende, mais on peut dire la même chose de son ami le duc de Lévis-Mirepoix, qui a écrit une histoire de la famille de Lévis. Quant à ces Broglie, c'est tout de même une famille haute en couleur, avec sa place réservée à l'académie française.
RépondreSupprimerPour la petite histoire, le fils de Gabriel de Broglie a épousé la petite-fille de La Varende ; ce sont les actuels propriétaires du château de Bonneville au Chamblac. Il se visite parfois, et l'on y admire les nombreuses maquettes de vaisseaux réalisées par La Varende. J'aimerais bien voir ça un jour, d'ailleurs.
Merci, cher Monsieur, pour ces informations.
RépondreSupprimerJe pourrai vous raconter des anedcdotes sur le Chamblac, du vivant de La Varende....
L'auriez-vous connu ?
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