Ce billet
est inspiré par la plus pure philanthropie – je dirai pourquoi.
Une
recension d'apparence favorable publiée par la revue du British Horological
Institute (dont je m'honore d'être membre ),
The Horological Journal de
juillet 2013, m'a incité à faire
l'emplette de Marking modern times -- a history of clocks, watches, and other
timekeepers in american life (
The University of Chicago press, 2013 ) par Mme Alexis McCrossen, professeur
d'une université texane de faible réputation.
Sur
l'histoire de l'horlogerie, même américaine, ma bibliothèque est très
suffisante, mais j'avais été attiré par l'insinuation que ce livre traitait
plutôt d'histoire sociale, et plus
particulièrement des réactions de la population face à ces nouveautés que
furent l'installation d'horloges publiques et la mise en œuvre d'un temps
standard uniforme (avec quatre fuseaux horaires) remplaçant les diverses heures
locales.
J'ai lu,
hélas.
Il apparaît
vite que Mme McCrossen ignore et l'horlogerie et l'histoire de l'horlogerie,
ainsi que l'histoire des chemins de fer ( qui furent les premiers à avoir
besoin d'un système horaire uniforme). A la lire, j'ai eu l'impression qu'elle
découvrait par hasard des aspects de son sujet au fur et à mesure de ses
propres lectures – ainsi, elle donne de l'imprécision des horloges marines une
raison inexacte pour le XVIIIe siècle ( elle semble ignorer que la suspension à
cardans permet à un objet de rester horizontal quelle que soit la position de
son support) puis fournit la bonne raison ( la dilatation thermique ) quand
elle aborde le XIXe siècle, et quand le problème est résolu.
Une anecdote semble s'inscrire dans l' histoire sociale : en mars 1908, le
maire de Milwaukee ordonne la destruction de huit horloges installées dans les
rues par des bijoutiers-horlogers, mais ce n'est pas en tant qu'horloges
qu'elles sont détruites – le maire a fait abattre tous les poteaux placés sur les trottoirs par des commerçants à des
fins publicitaires, et qui entravent la circulation des piétons.
En universitaire moutonnière, Mme McCrossen ne
peut avancer une assertion sans la justifier par une référence à l'ouvrage d'un
collègue, de préférence oeuvrant dans l' histoire
culturelle, assertions qui sont majoritairement des évidences ou des lieux
communs. Le procédé est destiné à acquérir la bienveillance des individus que
l'on flatte en les nommant, pour le lecteur, il est horripilant.
Comme toute publication de presses
universitaires anglo-saxonnes, ce livre est un produit de qualité : jaquette,
bonne reliure, beau papier, typographie élégante. Il y a un index, auquel
manquent les noms cités dans les fort nombreuses notes, et pas de bibliographie
– ces lacunes peuvent être imputées à l'auteuse ( de laquelle le revers de la
jaquette offre une photo en couleurs , cette femme est vilaine , avec un air
méchant).
J'en viens
à la raison charitable qui m'a poussé
à écrire sur ce bien mauvais livre. A peine en avais-je terminé avec
soulagement la dernière ligne que je fus saisi d'une vive inquiétude –
n'allait-il pas se trouver parmi mes lectrices et lecteurs, êtres rares, mais
précieux et toujours d'une grande curiosité, une personne sur le point d'acquérir
le pensum de Mme McCrossen? Je jugeai la
probabilité forte, et d'un devoir fraternel la publication de cette mise en
garde, qui me venge aussi des trois heures et des 45$ que j'ai bêtement perdus.
Une note
positive, enfin : pour qui veut connaître l'histoire de la mesure du temps, et son rôle capital pour l'espèce humaine, je conseille :
Die
Geschichte der Stunde : Uhren und moderne Zeitordnungen de Gerhard Dohrn-van Rossum ( Munich et Vienne, 1992
, trad. anglaise : History of the hour,
clocks and modern temporal orders,
University of Chicago press, 1996).
Et : Revolution in time (Harvard UP, 1983) de
David S. Landes ( trad. française : L'heure
qu'il est, les horloges, la mesure du
temps et la formation du monde moderne, Paris, 1987), ouvrage qui est un
chef d'œuvre d'intelligence.
Toujours de
l'admirable historien qu'est David S. Landes, mais sur un autre sujet, je
recommande vigoureusement la lecture de : The
wealth and poverty of nations – why some are so rich and some so poor ( trad. Française : Richesse et pauvreté des nations – pourquoi des riches? Pourquoi des pauvres ? , Paris,
2000) dans lequel l'auteur s'attaque au tiers-mondisme, au relativisme culturel
, à l'anti-occidentalisme et montre le rôle décisif de l'Occident comme force
motrice du développement économique.
Comme vous avez bien fait ! J'étais justement en train de le chercher dans les entrailles de Mme Amazon : merci pour l'économie ainsi réalisée !
RépondreSupprimerOn peut partager ?
SupprimerJe vous avoue que je ne prévoyais pas d'acquérir l'ouvrage, mais sait-on jamais ? Un homme averti en vaut deux.
RépondreSupprimerJe précise que ce livre ne contient pas un mot sur Roland, ni sur Ogier, ni sur les fils Aymon...
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