--Mais vous
voulez en revenir aux lois barbares!, s'entend-on rétorquer mécaniquement
lorsque l'on propose de remplacer par
une compensation monétaire en faveur de la victime la peine, capitale ou d'emprisonnement,
usuellement appliquée à l'auteur d'un crime.
Lois
barbares?
Dans La monarchie franque , qui forme le
troisième tome de son Histoire des
institutions politiques de l'ancienne
France, l'admirable historien que fut Numa Fustel de Coulanges a étudié exhaustivement cette question , en dépouillant
et analysant absolument toutes les
sources de l'époque, lois, formulaires, édits royaux, chroniques etc.
Voyons ce
qu'il en est.
Notons
d'abord que dans les textes juridiques ( tous en latin ), ce que j'ai désigné
comme "compensation monétaire" se nomme composition , ce qui signifie qu'il s'agit d'une transaction entre coupable et victime (
on trouve en effet aussi bien transigere que componere , Tacite, lui, emploie satisfactio, près de quatre siècles plus tard, Sidoine Apollinaire
écrit : compositio seu satisfactio,
les termes sont ici synonymes) et , point capital, cette composition n'est
qu'une éventuelle substitution à la
peine prévue par la loi.
Fustel de
Coulanges cite de multiples exemples, en voici quelques uns : "Que le
coupable reçoive cent vingt coups sur le dos ou qu'il rachète son dos par trois pièces d'or " (Loi salique),
"Le coupable perdra la vie, ou bien il se rachétera suivant le prix
qu'il vaut" (Ibidem) , "Qu'il soit châtré ou qu'il paye six solidi" (ib.) , le coupable "peut
racheter son pouce au prix de cinquante solidi" ( Loi ripuaire).
Cette
composition, qui est un rachat de peine,
n'est pas un droit absolu : elle doit
être acceptée par les deux parties, ce qui est de la nature de toute
transaction.
Quelle en
est l'origine ?
On la trouve
chez tous les peuples anciens, rappelle Fustel de Coulanges, même dans le droit
romain (mais "dans une très faible mesure" –vol, dol, incendie...),
quant aux Germains du temps où ils ne vivaient qu'en Germanie, Tacite, qui est notre
source unique , distingue entre d'une part
les peines et amendes prononcées par l'autorité publique et d'autre part
entre des arrangements entre familles : pour un grand nombre de crimes, il ne
peut y avoir composition. Et Fustel de Coulanges observe : "Le système des
compositions avait donc ses germes à la fois dans les vieilles coutumes
germaniques et dans quelques habitudes romaines."
Mais voyons
son évolution, et ce qui nous frappe, c'est qu'on le trouve très peu dans les
premiers temps des rois mérovingiens et qu'il va se développer au fil des
siècles – il sera d'autant plus présent que la "barbarie" ne sera
plus qu'un lointain souvenir.
"Loin
que le système des compositions, écrit Fustel de Coulanges, ait été très vigoureux à l'entrée des barbares
et se soit affaibli dans les siècles suivants, la composition fut très
contestée au cinquième et au sixième siècle, et grandit ensuite de génération
en génération jusqu'au neuvième. C'est sous Charlemagne et Louis le Pieux que
le système des compositions aura toute sa vigueur."
Que s'est-il
passé?
L'action de
l'Eglise catholique.
Celle-ci, on
le sait, est résolument opposée à la
peine de mort ( Ecclesia abhorret
sanguinem ), elle va donc utiliser toute son influence, et tout son
pouvoir, pour que les très nombreux crimes alors punis de mort (vol...)
puissent être rachetés par la composition, et elle y parviendra.
Alors ... loi
barbare, ou loi chrétienne ?
"Habitudes germaniques, pratiques
romaines, esprit de l'Eglise, voilà les trois sources d'où est venue la
composition de l'époque mérovingienne", conclut Fustel de Coulanges.
Vous savez, j'ai bien peur que, pour certains de ceux qui se récrient, le christianisme lui-même soit une barbarie.
RépondreSupprimerLa peine capitale est usuellement appliquée à l'auteur d'un crime ?
RépondreSupprimerLa peine d'emprisonnement est usuellement appliquée à l'auteur d'un crime ?
Vous avez vu ça où ?
Aux Etats-Unis, en Arabie, au Yemen etc.
SupprimerNous sommes bien d'accord. Donc pas chez nous, et pas en Occident de façon générale, avec une relative exception pour les Etats-Unis.
SupprimerCe système d'amendes s'applique à ceux qui ont quelques solidi. Quid de ceux qui n'ont pas un rouge liard ? Les absout-on ? Leur inflige-t-on d'autres peines ? Tout peut-il se racheter à prix d'or ou d'argent ?
RépondreSupprimerIl ne s'agit nullement d'amendes, lesquelles sont, par nature, prononcées au profit du pouvoir public.
RépondreSupprimerJe ne peux résumer dans le détail tout ce qu'expose Fustel, mais il n'expose que ce que disent les sources, lesquelles sont loin de répondre à toutes les questions que peut poser un esprit moderne,et que ne se posait pas un esprit mérovingien.