Je me
refuse à accepter dans mon assiette la moindre tomate, ce qui fait de moi,
selon la terminologie contemporaine, un tomatophobe.
Ce mot est
formé sur le suffixe phobe , fort en
vogue aujourd'hui dans la classe politico-médiatique, et qui mérite que l'on
s'y attarde.
Phobe vient du verbe grec phobéin qui signifia d'abord
"mettre en fuite", "effrayer " puis, plus tardivement,
"être effrayé" (notons que Phobos est, lui, le dieu de l'épouvante). L'inversion de sens, en passant de la forme
active à la forme passive, doit être remarquée : c'est elle qui a assuré le succès postérieur de
notre suffixe.
Nous lisons
ainsi sous la plume élégante d'Ambroise Paré : " Ceux qui estant mords de
chiens enragés tombent en hydrophobie " ( cette hydrophobie, qui désigne ici la crainte
de l'eau, est un symptome de la
rage).
Quelques
siècles durant, phobe est resté
discret dans la formation de notre vocabulaire, et c'est au XXème siécle
seulement que nous voyons se faufiler dans le grand Larousse de 1935 un mot
nouveau : xénophobie – qui ne désigne
pas l'action de mettre en fuite les
étrangers, mais d'en être effrayé (
ce qui n'est une action qu'avec indulgence ).
C'est que
les psys sont apparus, gens fortement
intéressés à créer par la simple invention d'un vocable de nouvelles névroses afin d'augmenter leur
clientèle, et dés lors nous voyons déferler les phobies : photophobie (
peur de la lumière ) , hylophobie ( -des forêts ) , tokophobie (-d'accoucher)
, tretraphobie (-du nombre 4) ou géphyrophobie (-des ponts),
il en existe désormais plus d'une
centaine, toutes formées sur des racines grecques, ou quasi-grecques.
Mais si les
guérisseurs à divan sont toujours actifs, ils ont été désormais supplantés dans
le bruit du monde par la joyeuse bande politico-médiatique qui a réussi à occuper le terrain , et même tout le terrain, avec ces deux
néologismes : islamophobie et homophobie.
Formé à la
fois sur un mot arabe signifiant "soumission" et un mot grec – ce qui rappelle le mariage incestueux d'une carpe latine et d'un lapin grec cher à
Alphonse Allais – le premier désigne donc la peur de la soumission, quant au second , qui s'introduit par le
grec omos – soit: "le
même", "semblable"-- ,
il marque ainsi la peur du même.
Ce n'est pas
seulement leurs étymologies qui séparent les phobies psy des phobies
politiques, mais surtout le traitement réservé aux individus qui en sont atteints.
Dans le premier cas, le trucphobe souffre d'une sorte de mal dont est
responsable un traumatisme infligé in
utero( le patient est une victime ),
dans le second cas, l'individu tremblant devant la soumission
ou le même est coupable : il est donc
désigné à la vindicte publique, exposé au pilori télévisuel et condamné à la damnatio memoriae.
Quant à ma
tomatophobie, puisqu'elle me conduit à préférer
manger du pâté en croute plutôt qu'une baie visqueuse et gluante de la famille
des solanées, elle est une discrimination , et me voue ainsi aux
flammes de l'enfer républicain, laïque et solidaire.
Excellent exposé de la situation ! Sinon, votre tomatophobie vous fait un point commun avec Renaud Camus.
RépondreSupprimerAïe !
Supprimerun ami me disait que le simple fait de dire je préfère la carotte au navet, faisait un adepte de la discrimination avec les inconvénients qui vont de pair.
RépondreSupprimerA l'époque, je pensais qu'il poussait l’exagération au stade ultime mais c'était avant, maintenant je me demande si sa pensée n'est pas en dessous de la vérité et votre démonstration excellente n'est pas fait pour me convaincre du contraire.
... et que nous réserve demain ?
SupprimerPour ma part, je serais plutôt endivophobe, ce qui est très mal.
RépondreSupprimerC'est noté et transmis aux cuisines.
SupprimerMoi, c'est épinarophobe. Est-ce grave, Docteur ?
SupprimerEst-ce la fièvre ? une petite coquille (l'omission d'un "à") dans une phrase m'a laissée un moment perplexe sur son sens, alors que cette bévue réparée, tout est limpide et fort à mon goût !
RépondreSupprimerMerci aimable correctrice, mais en me relisant je ne trouve pas cette omission -- je suis conscient d'être un fort mauvais correcteur de moi-même.
SupprimerTout comme je le suis de mes propres envolées ! "formé la fois" me semble, je l'avoue, un rien incomplet :p
SupprimerMerci, Madame.
SupprimerJe corrige.
Dieu merci, je ne suis affecté d'aucune phobie et surtout pas de la première que vous évoquez. Ayant passé une bonne partie de mon après-midi à farcir des baies visqueuses et gluantes puis à en cuisiner un bon nombre de kilos afin d'en faire quelques litres d'excellente sauce, j'aurais été mal.
RépondreSupprimerPour en revenir au fond, ne vaut-il pas mieux que les -phobes soient voués aux gémonies plutôt que traités comme des malades ? Mais encore faudrait-il établir clairement que l'on est un véritable -phobe, souffrant d'une sorte d'allergie ou animé de haine. La tendance actuelle à considérer comme -phobe toute personne qui manque d'enthousiasme à adopter l'attitude préconisée par la bien-pensance vis-à-vis de telle ou telle question me paraît absurde.
Phobein n'est pas "haïr", et l'agoraphobe ne hait pas les esplanades...
SupprimerCe que j'attaque est la perte du sens, cette confusion du discours qui empêche toute discussion , car que peut-on opposer à ce qui n'est qu'imprécation ?
Courage avec vos confitures ( si ce que vous faites en cuisine se nomme bien ainsi).
Sur le conseil de Blandine, j'ai corrigé une faute, et...patatras... ce billet de vendredi s'affiche à la date d'aujourd'hui!!!
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