david in winter

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Editeur. Ecrivain. Dilettante

vendredi 25 octobre 2013

Un trou dans le bas de laine



     --Mais...mais...J'y crois pas!
     M. Lucien Durand se frotta les yeux, les ouvrit de nouveau, écarquilla ... Il ne se trompait pas. Devant lui, soigneusement posé sur le manteau de la cheminée, son bas de laine, cette humble enveloppe de tissu écossais où, depuis des décennies,  il glissait chaque mois quelques piécettes économisées sur sa paie afin de pouvoir s'offrir en ses vieux jours quelque plaisir –une canne à pêche en bambou, ou un fauteuil en simili- cuir, ou encore une chaude doudoune – oui, ce bas de laine  dont la vue le récompensait de tant privations... le bas de laine avait maigri!
    Lucien s'approcha, souleva son humble trésor, trois rondelles marquées cinq sous s'en échappèrent, et il vit : au talon, le bas de laine était troué! Au même instant passa dans son champ de vision une forme noire et furtive qui sauta de la cheminée sur le sol de toile cirée imitant l'acajou,  et Lucien comprit qu'un avide prédateur avait osé..., il savait ce qu'il lui restait à faire.
   Le piège fonctionna. Le lendemain, Lucien contemplait entre les parois grillagées son prisonnier attiré par l'appât – un écu d'argent  fixé à l'extrémité d'un ressort déclenchant au moindre mouvement d'un intrus la fermeture de la trappe. C'était un rat au pelage rose, aux yeux d'un gris terne, et aux moustaches fripées.
     --J't'ai eu, fit Lucien. Comment tu t'appelles?
    --Je suis Rattus socialistus, mais mon peuple m'appelle Not' Président, répondit le rat.
    --Et pourquoi tu me voles?
    --J'ai des besoins...
    --J'te paye déjà le tribut, les cotisations, les contributions et les dons obligatoires et citoyens, t'as pas assez ?
     --Enfant ! Si tu savais... Mes promesses à tenir, mes dettes à rembourser, et tous mes rats affamés , mes rats-de-ville,  mes rats-de-banlieue  et mes  rats-des-champs  qui pleurent leur pitance !
     "Veux-tu un exemple? Hier, j'ai dû verser à rat-Bruxelles une aide d'urgence pour qu'il puisse boucler sa fin de mois, près de deux milliards d'écus, et le mois prochain il lui faudra  une rallonge de quatre autres milliards , en plus de son budget habituel...
      --C'est quoi, rat-Bruxelles ?
      --C'est toute une nichée de grots rats qui nuit et jour fabriquent des normes, pour que tout le rat-menu peuple soit bien encadré, et fasse ce que décide rat-Bruxelles plutôt que ce qu'il sait faire.
     "Et puis, il y a les nomades, les rats-roms qui sont arrivés de l'Orient poudreux avec leurs rates, leurs ratons et leurs ratonnes,  et qu'il faut nourrir, loger, vêtir, chauffer, distraire et...
    Lucien l'interrompit.
    --Pourquoi tu leur donnes, à ces nomades?
    --C'est un sacrifice à un dieu, le dieu Solidarité-active qu'adorent les rats-plumitifs, mais ce n'est qu'une goutte d'eau...
    "Il y a les rats-enseignants, eux ne cessent de se multipier, j' en aurai bientôt deux millions, et les rats-culture, les rats-associatifs, les rats-zécolos, les rats des Hautes autorités et Grands conseils, les rats-zélus et les rats-surendettés, les rats-syndiqués et les rats-paysans, et surtout, mes pauvres rats-chômeurs...
    "Bien sûr, je viens d'annoncer une décélération de la hausse de l'accroissement de l'augmentation de la courbe du pas-emploi, mais il m'en reste quand même près de six millions sur le dos.
    --Tant que ça? J'avais entendu plutôt dans les trois millions...
     --C'est parce que les rats-polemploi les répartissent en catégories qu'il est inutile de toutes citer , mais ce n'est pas parce que je n'en parle pas que je ne leur donne rien.
    --Et dans tout ça, il n'y a rien pour toi ?
    --Pour moi ?
    D'indignation, Rat-président frappa de la queue le grillage.
     --Mes repas, un toit, un costume, deux cravates, une rose vif et une rose pâle,  et l'entretien de mes concubines, clopinettes..., ma dernière taxe, celle sur les boissons qui font pschitt, y suffirait.
    -- Tu es pourtant bien gras.
    --Gras ? Regarde- moi mieux : je suis mou et flasque, rétorqua rat-Président.
      Alors Lucien tendit la main vers la cage, peut-être dans un dessein cruel, mais à peine l'eut-il touchée qu' il y eut un grand bruit, et  il s'aperçut qu'il avait fait tomber la lampe posée sur la table de nuit, et qu'il s'était éveillé.
  --Qu'est-ce qui t'arrives?, demanda son épouse également arrachée aux bras de Morphée.
  --Rien rien, Lucette, un cauchemar... J'ai rêvé qu'une sale bête nous volait nos éconocroques qu'étaient dans un truc de laine. Rendors-toi, ça risque pas de nous arriver.
     Lucien ferma les yeux, confiant. Sur les conseils du gouvernement, il avait prudemment placé sa modeste épargne sur divers livrets, un morceau de PEA, une noisette de PEL, une pincée d'assurance-vie, en toute sécurité lui avait-on promis...
   Et à l'abri des prédateurs.

3 commentaires:

  1. Un casse-noisette serait donc le remède à tous nos problèmes.

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  2. Quelqu'un connaitrait un bon joueur de flute?

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  3. Drôle de pause fiscale en tout cas....
    A ce demander à quoi on a échappé.

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