Sous le règne de Louis XIV, l'abbé François-Timoléon de Choisy
(1644-1724) qui nous a laissé de délicieux Mémoires
et fut l'un des Quarante de l'Académie
comme l'on disait alors, avait décidé de s'habiller en femme, de son lever à
son coucher, pour sortir dans les rues,
aller au spectacle, se rendre dans les salons de beaux-esprits, bref ne se montrer qu'ainsi vêtu. Nulle loi ne l'en empêcha, on le considéra
d'abord avec amusement, puis l'on s'y accoutuma, sans moquerie ni encore moins
indignation, l'abbé fut regardé, et admis, comme un excentrique, terme emprunté à l'astronomie et à la géométrie, et
dont il est douteux qu'il fut alors employé dans le sens que je lui donne ici,
mais si le mot n'était pas encore d'usage, la chose qu'il recouvrira était
parfaitement vue : l'abbé avait choisi de se placer hors du centre de la société , ce centre où le plaçait pourtant sa
condition de noble et de clerc.
Il y eut jadis, sous la
république, des lois contre le travestissement, je les crois abolies et n'ai
pas pris la peine de vérifier, puisqu'une loi semblable, et radicalement
scélérate, est désormais en vigueur.
Cette loi, due à l'imbécillité
vibrionienne de feu M. Sarkozy dit textuellement :
"La dissimulation du visage
dans l'espace public est interdite à compter du 11 avril 2011 sur l'ensemble du territoire de la République. Cette
infraction est constituée dès lors qu'une personne porte une tenue destinée à
dissimuler son visage et qu'elle se trouve dans l'espace public; ces deux
conditions sont nécessaires et suffisantes."
Pour la forme, cette loi est caractéristique de l'incompétence juridique
de législateurs incultes puisque le caractère absolu de son premier paragraphe
est suivi d'exceptions tour à tour
définies ou laissées dans un vague propice aux interprétations multiples, ce
qui détruit le caractére "nécessaire et suffisant" d'abord énoncé.
Sur
le fond, je ne sais s'il est utile de rappeler que cette loi ne fut décidée que dans un dessein bassement électoraliste –
il s'agissait de récupérer les voix de citoyens se trouvant agressés par la vision, pourtant assez
comique, d'une dame marchant recouverte d'une sorte de sac conformément à des
préceptes religieux d'origine exotique. Pour satisfaire ces chatouilleux
agressés, le législateur enfonça le clou en incluant dans une énumération d' accessoires pouvant dissimuler le visage,
entre masques et cagoules, burqa et niqab, le caractère étranger de ces vocables soulignant que la cible de la loi est bien étrangère , tout en y mélangeant dans une grande confusion son
caractère universel.
On connait l'effet de cette loi hypocrite, les incidents multiples
qu'elle provoque et dont la relation répétitive concourt à rendre encore plus
ennuyeuse la lecture des journaux; sur l'aspect de la prohibition des tissus
mahométans, il suffit de dire qu'elle est une atteinte criminelle aux droits
élémentaires des êtres humains – le droit de se conformer à sa croyance sans porter atteinte à la propriété d'autrui–
et, pour en finir sur ce point qui ne devrait même pas être discuté, relevons
que ce qui choque et fait éructer les
"adversaires du voile", ce n'est pas la vision du voile, mais la
vision d'un être humain qui, par le port de ce signe, affirme sa foi.
Plus intéressant est ce qui n'a guère été remarqué, tant le pénible
débat s'est réduit au seul voile , et est pourtant le texte même de la loi
scélérate, que je recopie à nouveau: " La dissimulation du visage dans l'espace public est interdite"
, et que je souligne, parce que cette interdiction est passée dans l'opinion comme une lettre à la poste, sans que
personne n'y prenne garde, ne sourcille, ne dresse l'oreille, et cette
interdiction inimaginable il y a encore vingt ans n'a pas heurté, n'a suscité
nulle protestation, parce qu'elle s'inscrit à merveille dans l'obligation de transparence qui désormais s'érige en
norme, sous les applaudissements citoyens.
Cette transparence est aussi surveillance, espionnage et délation, de tous par tous, afin que soit abolie toute
individualité.
Pour vivre heureux, vivons caché,
conseillait jadis la sagesse des nations
-- et c'est en prison que sera désormais envoyé se cacher
l'excentrique adepte de ce sage
précepte.
Si le seul problème que posent les porteuses (ou porteurs) de burka était d'être un tout petit peu excentriques, je vous suivrais volontiers. Je crains cependant que cette aimable coutume importée d'exotiques contrées soit difficilement compatible avec notre mode de vie. Elle manifeste davantage un refus catégorique de certaines de nos valeurs qu'une quelconque fantaisie. Elle est même le signe d'un désir de subversion d'une civilisation qui fut capable jadis de tolérer le bon abbé dont vous nous parlez.
RépondreSupprimerJe ne crois pas, pour des raisons de sécurité, il soit non plus souhaitable d'autoriser que l'on se promène casqué ou cagoulé sur la voie publique.
Avant cette loi scélérate, effectivement se promenaient dans les rues une foule de serial killers cagoulés et masqués qui assassinaient par dizaines les petits enfants oubliés sur les trottoirs.
RépondreSupprimerL'invocation à une pseudo-sécurité ne sert qu'à tuer nos dernières libertés, cher Jacques...
Pour une fois, je ne partage pas votre point de vue. Comme quoi tout arrive ! la liberté de se promener masqué ne me paraît pas fondamentale. Ce qui serait grave serait d'imposer le costume unique mais nous n'en sommes pas là et il me semble que pour ce qui est de se vêtir à sa guise, les drag queens prouvent qu'on n'a pas trop régressé...
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