Le monde
ne bruissait que du fracas des armes sorties des magasins pour aller infliger
une juste punition à un dictateur
fourbe, cruel et moustachu -- des
hauteurs élyséennes, la voix de la France proclamait qu'il était urgent et nécessaire de décorer le sol
d'un ancien protectorat d'un tapis de bombes humanistes , dans les profondeurs
de soutes guerrières les drones frémissaient, prêts à un envol gracieux et
mortel, puis... puis rien --urgence
et nécessité s'étaient abolies, et
dans l'éther politico-médiatique il n'en demeura même pas une trace, même pas le
son affaibli d'un vague écho, rien qui pût rappeler ces jours où l'urgence était urgente et la nécessité nécessaire, car...
...car
monta à la surface de la mer des indignations le spectacle affreux des nageurs
trop submersibles des côtes de Lampédouse, et fut proclamée l'urgente nécessité
de ne plus tolérer l'inadmissible et
l'inacceptable, vœu vite récompensé
par l'arrivée d'une nouvelle cargaison de corps flottant sur les eaux azuréennes
de la Méditerranée, et de cette acceptation et admission par les flots de l'inacceptable
et inadmissible se détournèrent les regards car...
...car une
nouvelle star se leva au firmament
des medias, étoile de ce prodigieux reality-show
qui se nomme actualité, guerres
civiles et naufrages furent balayés des écrans par le visage douloureux d'une
jeune fille radieuse, victime de la
plus barbare persécution et de la plus démoniaque injustice; épuisant les
batteries des smartphones, les réseaux sociaux et néotechnologiques
s'embrasérent de citoyennes et jeunes colères, bientôt, avenues , boulevards et
terrasses de bistrots furent submergés d'une marée solidaire de lycéens qui,
dans un élan festif, démocratique et
sensible scandaient : "Bouboularovic n'est plus au lycée, nous non plus
!" tout en s'émerveillant de cet ingénieux moyen d'avancer d'une journée
les vacances commençant au lendemain , mais cette vague de générosité à son
tour ne fut plus qu'une filigraneuse écume, car...
"Dimanche
16 [octobre], à Fontainebleau-- Le roi,
Monseigneur [le grand Dauphin] et les princesses allèrent après dîner à
Franchard se promener à cheval; les jeunes dames étaient toutes à cheval.—On
donne un régiment nouveau de dragons à M. de Montalais, celui qui commandait
les mousquetaires en Flandre.
Lundi 17,
à Fontainebleau – Le roi ne sortit point le matin, et l'après-dînée il alla
tirer; Monseigneur courut le loup. Le soir, il y eut comédie. – M. de Tessé, mestre
de camp général des dragons, a demandé un régiment d'infanterie; le roi lui a
accordé.
Mardi 18, à
Fontainebleau –Le roi alla tirer l'après-dînée; Monseigneur courut le cerf
devant et après dîner. –Le soir, il y eut appartement. –Le signor Ini,
gentilhomme de M. de Chaulnes [ambassadeur du roi à Rome], apporta la nouvelle
que le cardinal Ottoboni avait été élu pape, le 6 de ce mois; le courrier n'est
parti que du 9.—Le pape, le lendemain de cette élection, envoya des présents de
fruits et de poisson à M. de Chaulnes. (...) Ce pape-ci a beaucoup d'esprit :
ainsi on espère qu'il songera à donner la paix à l'Europe et à soutenir la
religion catholique. "
Quant à demain 19 octobre (la Cour est
toujours à Fontainebleau ) :
"Le
roi alla tirer après son dîner. Monseigneur courut le loup. Le soir, il y eut
comédie."
Certes,
ces nouvelles bellifontaines datent du temps de la Civilisation – l'an 1689 –
mais elles sont pour moi, pour l'influence qu'elles ont sur ma vie, et sur mon
esprit qu'elles entraînent en réactionnaires rêveries, et regrets de ne vivre
en cette époque, plus importantes que les breaking
news de la répétitive année 2013 – elles ne différent d'intensité que par
le fait que, pour les évènements de 1689, leur dénouement m'est connu, mais en
est-il autrement pour ceux d'aujourd'hui ?
Car de tout
ce brouhaha, le plus certain est qu'il ne sortira rien, et que tout, discours psittacistes
et imbéciles, mesures définitives et avortées, glapissements pleurnichards et
vides de sens..., tout continuera comme par devant, juste un petit peu en pire
– comme d'habitude.
***Les nouvelles
d'octobre 1689 sont extraites du Journal
du marquis de Dangeau, œuvre importante dont je parlerai plus longuement
-- mais il m'en reste encore seize
volumes à lire.
Je sais que vous n'avez pas la télé, mais souvent les journaux y relatent les menus faits du monarque et de la cour...
RépondreSupprimerAu passage, j'ai vécu un temps pas loin de Dangeau où est né le marquis et qui possède une belle église romane en grison.