david in winter

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Editeur. Ecrivain. Dilettante

mardi 8 octobre 2013

Nos vies ailleurs



   "Aujourd'hui je me croyais le général d'une armée victorieuse, la ville était prise d'assaut après des prodiges de valeur; je modérais la fureur du soldat et faisais admirer ma clémence aux vaincus. Demain, j'étais roi; ma cour était la plus brillante de l'Europe, je nommais les grandes charges de mon royaume, j'en faisais intérieurement la liste; les gens que je distinguais m'accompagnaient dans ma pensée. Je trouvais les plus grandes difficultés aux changements que je projetais; c'était l'objet de méditations fort sérieuses. J'encourageais les arts, et protégeais  médiocrement les gens de lettres, parce que je connaissais toute leur ignorance du monde, toute leur présomption, leur ingratitude, et leur impatience de l'autorité et de la subordination. (...) Quelquefois, transformé dans un orateur chrétien, autre Bossuet, je tonnais dans la chaire sainte; j'épouvantais les rois et les nations par la plus auguste éloquence, et des louanges aux grandeurs en poussière étaient la révélation de leur néant. Un autre jour, amant préféré d'une grande reine, à qui mon esprit  prodiguait une puissance sans bornes et une bonté sans tache, j'avais dispersé mes rivaux; l'univers était à ses pieds, elle était aux miens. Une autre fois enfin (...).
  "(...) Je résolus de défendre à mon imagination ces excursions mensongères, de lui interdire le péril de créations si chimériques, de ne m'appesantir jamais sur ces dangereuses transfigurations, d'exister enfin dans la réalité de la vie, et de ne pas végèter dans le néant des rêves d'un fou éveillé."
   Ainsi se confesse le comte Alexandre de Tilly (1764-1816), ancien page de Marie-Antoinette, dans ses Mémoires ( Paris, 1929, 2 vol., édition de Christian Melchior-Bonnet ), dont la lecture m'a procuré cette joie incomparable qu'est la découverte d'un très très grand écrivain ( Stendhal l' adorait ) , aux aventures galantes surpassant par leur audace celles de Casanova, fidèle avec un rare courage au Roi son maître (que pourtant il n'estimait guère ), et ami des plus fameux auteurs de son époque, dont il trace des portraits magnifiques.
   Mais ce vivant avide de tous les plaisirs de cette terre, voici qu'il nous avoue que la satisfaction de ses désirs ne le préservait pas de la noire mélancolie, et qu'il n'y trouva d'abord pour remède que des rêves de fou éveillé – est-ce là, quand le monde, ou nous-même, nous insupporte, si mauvaise médecine?
  Et, pour abolir le dégoût où me jette la société qui m'emprisonne, je vais m'étendre sur un divan, dans le silence de la maison, je clos les yeux... je suis Napoléon décidant d'épouser une princesse de maison souveraine, je choisis une sœur de mon ami le Tsar Alexandre, le voici mon allié le plus fidèle et, ensemble, après nous être débarrassé de la perfide Angleterre, nous partons pour conquérir la Perse avant de piétiner les frontières de la Chine... Ou, en ce jour des Ides de mars, devenu César, je décide de rester en ma demeure, j'ouvre ma porte à un parent qui me révèle un complot,  bientôt c'est le sang de Brutus, non le mien, qui coule sur le marbre du Sénat... Puis, lassé de refaire l'Histoire, je ne suis qu'un noble non titré, un marquis d'ancienne famille riche en dettes, je demeure autant que je peux sur mes terres, je veille au sort de mes paysans en m'efforçant de leur apprendre des rudiments d'agronomie et en les protégeant des excés des receveurs de la taille, parfois, pour soutenir mon rang et  l'honneur de ma famille, je me rends à Versailles, je n'y ai ni grandes ni petites entrées, mais, au jeu, il arrive que le regard du Roi mon maître se pose sur moi, m'invitant à lui faire ma cour....
     Bienfaisants phantasmes de grandeur qui nous font survivre à notre médiocrité, médiocrité des temps, médiocrité de nos efforts pour sauver ce qui pourrait encore l'être, médiocrité de nos ambitions sans fondation, mais ces phantasmes... , ne vois-je pas des amis, vigoureux blogueurs s'élevant, eux, au-dessus de la tourbe où je stagne, se laisser également aller à leurs charmes ?
   Ne vois-je pas, dans leurs propres imaginations, M. Matière de France , transformé lui seul en les quatre fils Aymon, déflorer sur une prairie semée de coquelicots quatre douces pucelles croisées à l'orée d'une forêt où musardaient des fées ? Et M. Koltchak, en ministre de la police de Louis XX, rétablissant dans le royaume restauré l'ordre nécessaire ? Ou M. Vu des collines remportant une nouvelle fois le Championnat de sodomie rurale et appliquée ? Ou encore M. Corto , conseiller favori et très-écouté de feu le président S*** lui ouvrant les voies d'un pouvoir qu'il exercera enfin avec une volonté droite ? Quant à M. Didier Goux, aujourd'hui Balzac dépourvu de tout souci d'argent, avec quelle ardeur achève-t-il  d'une plume emballée la dernière partie des Paysans !
   Mais tandis que ces ardents contempteurs d'une modernité viciée voyageaient dans les palais enchantés de l'esprit ( et moi suivant humblement) , M. Nicolas Jégou a revêtu la peau de Marat et, au pied de l'échafaud, bientôt roulent dans le panier de son républicain nos têtes réactionnaires.

17 commentaires:

  1. Il est tout de même amusant que Stendhal, à quelques minutes d'intervalle, ait traversé votre blog puis le mien…

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    1. Et je vais, de ce pas, commander si je les trouve les mémoires dont il est question et dont vous m'avez déjà dit le plus grand bien, si la mienne, de mémoire, est encore valide.

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    2. Ah ! et il y a Balzac aussi !

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    3. Je pense que Tilly est réédité et disponible au Mercure (pas galant, mais gallimardeux).

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    4. En effet, et c'est commandé.

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  2. Ah ! Mais j'ai parfois envie de donner des coups de pied au cul de certains blogueurs réactionnaires, pas de leur couper la tête.

    Stendhal est blogueur, maintenant ?

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    1. Pas du tout. Je veux bien égorger Corto pour vous faire plaisir mais j'excellentes relations avec Koltchak et vous. Quant â Didier, si je l'égorge, il me faudra s'occuper de sa femme et je perdrais mon troll principal.

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  3. Vous me prêtez de bien nobles et éthérées ambitions, mais sont-elles bien de mon âge ?

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    1. Toute la Normandie témoigne de vos infatigables ardeurs....

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  4. De grâce, plutôt Lieutenant général de police plutôt que ministre. Je préfère marcher dans les pas de M. de La Reynie que dans ceux de je ne sais quel républicain.

    Et puis il avait été bougrement efficace lorsqu'il s'agit de liquider la cour des miracles. La Reynie s'empare du problème. Il dépêche sur place un commissaire et des archers du guet. Accueillis à coups de pierres et de projectiles divers, ceux-ci battent en retraite à trois reprises. (ça ne vous rappelle rien , ) Exaspéré devant tant d'insolence, La Reynie se rend en personne sur les lieux, escorté d'un escadron de sergents à cheval, de soldats du guet à pied, d'une escouade de sapeurs du régiment suisse et d'un commissaire. A l'aide d'un porte-voix, il informe que trois brèches ont été pratiquées dans les remparts de Charles V entourant la cour afin de permettre aux habitants de fuir sur l'heure. Il assure que les douze derniers qui seront pris paieront pour tous les autres, que six d'entre eux seront pendus, les six autres envoyés aux galères. Cette annonce provoque un sauve-qui-peut général. Dans l'instant, voleurs, tire-laine, culs-de-jatte et autres paralytiques retrouvent, comme par miracle, les moyens de déguerpir. Dans les jours qui suivent, les constructions sont rasées.

    Que n'a-t'on recours à un tel expédient aujourd'hui ? Après tout, la racaille contemporaine n'est guère plus courageuse que celle d'antan.

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  5. s'est agi.

    Mea culpa.

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  6. Je poserais bien ma candidature comme tourmenteur, un bien beau métier qui c'est bien dommage n'existe plus.

    Je commencerais l'entrainement sur quelques suppôts du François, comme certains en pantalon à carreaux ou quelques gros ventrus reconnaissable à leur durillon de comptoir.

    grandpas

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  7. Me rêvant conseiller de feu le président S,...J'ai tant à lui dire :) Et pourquoi pas ? La part de rêve est à l'homme ce que la part des anges est au Cognac: indispensable pour bien vivre et mûrir . Non ?

    Quant à jegoun se rêvant Marat, la chose me semble saugrenue, il en faut du courage pour décapiter ses ennemis.

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    1. Par contre insulter les gens dans les commentaires d'autres blogs ne nécessite pas beaucoup de courage...

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  8. J'arrive après la bataille, mais le billet est beau.

    A vrai dire, en ce qui me concerne, je me rêve plus volontiers en poète épique qu'en héros épique. Dans mes vies ailleurs, je suis Homère, Turold... ou Elias Lönnrot.

    Je note que M. Jégou n'a pas précisé s'il me décapitait ou non.

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