david in winter

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Editeur. Ecrivain. Dilettante

jeudi 23 avril 2015

"ce pays"

         

                 Dans un texte publié en 1931, et repris dans le recueil Doit-on le dire? réédité aujourd'hui aux Belles Lettres, Jacques Bainville reproche au politicien de gauche Pierre Laval d'utiliser l'expression "ce pays" pour parler de la France.
        "[Cette expression] m'agace, écrit Bainville, et je sais bien pourquoi elle m'agace. C'est une traduction littérale de l'anglais. (...) Les Anglais ont coutume de dire this country, qui est devenu au Palais-Bourbon : ce pays. Pourquoi "ce pays"? (...) Pourquoi ne pas dire simplement "le pays", ou bien, "notre pays" ou "chez nous" qui vaudrait encore mieux?"
      Malgré toute mon estime pour le grand historien, je dois avouer qu'aujourd'hui, c'est tout naturellement "ce pays" qui me vient sous la plume, ou sur la langue, lorsque j'ai à évoquer le territoire nommé France.
     Jacques Bainville voit dans cette tournure une "nuance de dédain", j'y ajouterai une marque, très forte, d'éloignement.
     Certes, factuellement, la France est toujours mon pays, elle l'est même, très profondément et très définitivement, pour ce qu'elle a été (jusqu'en 1789, et encore un peu après grâce à Balzac et Proust...), mais pour ce qu'elle est en 2015?
     Il n'y a, dans la société française actuelle, rigoureusement rien que je puisse accepter de m'approprier par un "mon" (qui serait également une identification, et une soumission au désastre) , rien dans ses institutions, ses discours, ses actions, que je ne rejette avec horreur et dégoût, et quant à ce qui relève de l'esthétique et de la pensée (que devraient exprimer des œuvres, qui fondent une civilisation) je ne trouve que vide (malgré quelques ilôts de résistance connus de leurs seuls et rares occupants)-- mais non silence.
     Car de ce pays il émane en permanence un gigantesque bruit, bruit de l'espèce du brouhaha, composé de phonèmes qui voudraient passer pour des mots, mais les mots ont un sens, et ces phonèmes ne sont que des sons, dont la fonction est de faire réagir identiquement, et en toute conformité à l'ordre désormais établi, des hommes et des femmes qui ne sont plus que des chiens (et des chiennes) de Pavlov, hommes et femmes que je nommerai ce peuple.

vendredi 17 avril 2015

Meurtres d'enfants, hier et aujourd'hui

         

     Le viol et le meurtre d'une fillette par un maniaque homicide ont déclenché un flot de commentaires et autres menus propos dont la stupidité, la veulerie et le manque de pertinence expriment très-exactement ce que nous pouvons attendre de nos contemporains.
     Dans son Registre-Journal tenu sous les régnes d'Henri III et d'Henri IV, d'heureuse mémoire, Pierre de L'Etoisle, grand-audiencier de la Chancellerie, note au fil des années une dizaine d'affaires semblables (viol puis meurtre de petit garçon ou de petite fille) survenues à Paris et ses environs, et qui furent élucidées.
     En ce temps de civilisation, le lendemain de son arrestation le criminel était jugé et condamné puis, le surlendemain, pendu et étranglé (selon la formule rituelle).
     Mais à l'adéquation et à la promptitude du châtiment , notre société préfère pleurnicheries et marches blanches, c'est une préférence que partagent les assassins.

lundi 13 avril 2015

Sur les juges corrompus

         

   Il y a bien des années, un ami me proposa d'écrire une chronique hebdomadaire dans Le Figaro, demande flatteuse, et prometteuse de gras revenus, je m'empressai donc de rédiger un billet fort bien tourné (à mon sentiment) sur la justice.
   J'introduisai mon propos par cette  anecdote rapportée par Ammien Marcellin dans ses Histoires : dans l'empire Sassanide, les magistrats siégeaient sur des chaises recouvertes des peaux tannés de juges corrompus, et qui avaient subi (préalablement) le dernier supplice. Puis, après avoir cité l'admirable Tête des autres de Marcel Aymé, je suggérai que fût aujourd'hui suivi l'excellent exemple des Sassanides.
    C'est ainsi que cessa ma collaboration au journal de la bourgeoisie conservatrice avant même que fût publiée une ligne de moi, j'en fus un peu surpris, un peu chagriné, et mes rêves d'opulence dissipés, cela témoigne de ma naïveté, j'étais bien jeune en ce temps.
   Quelques décennies ont passé, et je regrette encore plus aujourd'hui que nos mœurs actuelles rendent utopique toute imitation des bonnes manières sassanides.
   Faut-il pour autant renoncer à toute amélioration de la magistrature, continuer à accepter que les jugements, tant civils que criminels, semblent écrits par de désinvoltes étourdis qui négligent et le droit et le fait, pour ne rien dire de l'équité?
   J'ai eu dans ma vie de nombreux procés, où j'étais soit demandeur, soit défendeur, j'en perdis qu'une saine justice eût dû me faire gagner, j'en gagnais qu'une même saine justice eût dû me faire perdre.
    Mais veux-tu, ô peuple souverain, que soit établie cette bonne justice, qui est la première raison d'être d'un gouvernement?
   Indigne-toi alors que son budget soit égal à celui d'un ministère aussi dérisoire et inutile que celui de la culture-d'Etat, et inférieur à celui de tant de départements aussi grotesques qu'obéses.
    Multiplie-le par dix, ce budget, et multiplie d'autant le traitement des magistrats, pour ne plus recruter des hommes que la médiocrité de leur sort et de leurs ambitions pousse à juger en fonction de l'envie et de l'aigreur qui les habite, donne-leur les locaux,  les moyens, et la considération, nécessaires à la majesté de leur charge...
   N'oublie pas qu'en prononçant une seule phrase, les juges décident de la vie et de la fortune de leur semblable –et que ce semblable peut être toi.
   Mais tu préfères que les largesses de M. Etat engraissent les artistes de rue et les ivrognes sans emploi, et le jour où tu seras victime de quelque jugement aberrant, au lieu de pleurer,  dis-toi que tu en as eu pour ton argent, et ton indifférence.

samedi 11 avril 2015

Le réactionnaire et les nazis

       

     Des magistrats d'une cour d'appel viennent de confirmer la condamnation prononcée en première instance contre M. Renaud Camus, coupable de ne pas hurler avec les loups et d'exprimer quelques pensées dissidentes; un vaste arsenal de lois interdisant de qualifier selon leur mérite les décisions de justice et les fonctionnaires qui les prononcent, relisons plutôt La persécution et l'art d'écrire de Leo Strauss.
     Car, que peut un écrivain qui vit sous la botte des tyrans?
     Allons dans un passé récent (pour moi...), et rencontrons Friedrich Reck-Malleczewen (1884-1945), allemand, auteur très talentueux d'une trentaine de romans qui eurent beaucoup de  succés, et qui, étant catholique et royaliste, donc authentiquement réactionnaire, éprouvait de ce fait un sentiment d'horreur absolue envers Adolf Hitler, ses sbires et leur idéologie.
    De 1936 à 1944, Friedrich Reck-Malleczewen tint un journal dans lequel il dit crûment ce qu'il voit et ressent.
    Rédigeant  un récit historique se déroulant en 1534 à Münster dominé par la furie et le délire des anabaptistes, il voit dans les brutes fanatiques tyrannisant la ville et les maîtres nazis une étonnante identité: "Ainsi donc, comme chez nous, écrit-il, ce sont des femelles hystériques, des maîtres d'école tarés, des prêtres défroqués, des proxénètes arrivés et le rebut de toutes les professions qui constituent le soutien principal de ce régime."(11 août 1936).
    En avril 1939, à Berlin, il voit Hitler sortir de la Chancellerie:
    "Le voilà donc, la casquette profondément enfoncée sur le front, ressemblant assez à un receveur de tramway broché d'argent, les mains sur le ventre comme d'habitude; voilà le dignitaire suprême. A travers la vitre, j'observe ce visage. Ce n'est qu'un tremblotement de bourrelets de graisse maladive, tout pendouille, tout est avachi et sans anatomie, gélatineux, scorifié, maladif. Il n'y a pas le rayonnement, l'étincelle, la flamme d'un prophète, mais en revanche les stigmates de l'insuffisance sexuelle, la hargne de la demi-portion qui passe sa rage sur d'autres. Et malgrè cela,(...) tout autour des femmes hystériques [deux ans auparavant, il a vu des femmes porter à leur bouche et baiser le gravier sur lequel le Führer avait marché...], des adolescents en transe, un peuple entier dans l'état des derviches hurleurs."
     La souffrance qui est la sienne face à l'abjection hitlérienne le pousse naturellement, et légitimement,  à l'invective , qu'il manie avec brio, le plus souvent il analyse avec une grande hauteur de vue et une rare finesse de jugement la nature du pouvoir qui l'écrase, qui est le pouvoir de la masse, et abolit toute civilisation.
     Fin 1944, il est arrêté, relâché, encore arrêté et mourra à Dachau en février 1945.
     Son journal sera publié en Allemagne en 1947 sous le titre Tagebuch eines  Verzweifelten, encensé en 1966 par Hannah Arendt qui en juge indispensable la lecture, publié en français en 1968 , vite oublié, et aujourd'hui (avril 2015) réédité ( La haine et la honte, Vuibert éditeur) avec, peut-on espérer, plus de chances de succès grâce au bel éditorial que lui a consacré M. Michel de Jaeghere , auteur des Derniers jours, dans le Figaro-Histoire.
     La haine et la honte est un grand texte littéraire, et le tableau d'un peuple asservi adorant son propre asservissement  --une leçon morale.
    Aujourd'hui peut-être, quelque écrivain rédige, librement et clandestinement, un journal dépeignant sans crainte des tribunaux notre société, dans l'espoir qu'en l'an 2085 ou 2100 il sera permis de le lire sans finir dans une geôle, et de voir enfin ce qu'est le pays où nous tentons de survivre malgrè les juges que s'est donné le peuple.

    P.S. Parlant du prince-héritier de Bavière, Friedrich Reck-Malleczewen l'appelle "notre gracieux maître" – comment ne pas aimer cet homme?

vendredi 3 avril 2015

Big Brother vous aime

     

   Il semble, d'après la rumeur publique, que le peuple français ait quelques inquiétudes concernant son avenir.
  Pourquoi ces soucis?
  Deux nouvelles lois votées ce jour montrent que les causes en sont bien connues du fringant troupeau des députés, qui ont décidé de prouver leur compréhension des craintes populaires, et leur volonté de remédier à tout et le reste, en édictant deux nouvelles prohibitions.
   Selon la première, il est désormais interdit aux agences de mannequins d'employer des mannequins trop maigres (selon quels critères? La jurisprudence le dira, dans quelques décennies) sous peine de prison pour les contrevenants (six mois, pour commencer).
   Selon la seconde, l'accés aux cabines de bronzage est désormais interdit aux mineurs, ainsi que la publicité pour ces installations.
  Ainsi l'électeur pourra-t-il profiter pleinement de son week-end de Pâques de trois jours, sachant qu'il est gouverné.
   Enfin, presque, car n'a pas été résolu le problème des appareils à bronzer intallés à domicile découvert tardivement par les ministres et députés, mais ceux-ci ont promis de le prochainement résoudre, ce qui les occupera , et peut-être même les stressera, durant quelques semaines.
   Et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes (possible).