Dans ces sempiternels débats médiatiques où
s'affrontent des individus prêchant la même antienne, et parfois agrémentés de
la présence honteuse d'un dissident destiné à servir de punching ball, revient
en leitmotiv cette fière affirmation : "Nous, héritiers des Lumières... " haituellement suivi
d'un : "Nous ne pouvons accepter que..."
Ces Lumières sont, comme la gousse d'ail ou
les balles d'argent, un infaillible grigri pour terrasser l'adversaire, qui
doit se désintégrer dès que le touche un lumineux
rayon de soleil, comme Christopher Lee dans la séquence finale de Horror of Dracula de Terence Fisher.
Que sont
ces Lumières, dont l'invocation
exclut automatiquement de l'humanité le moindre quidam accusé, plus souvent à
tort que raison, d'être islamophobe, romanichelophobe, homophobe, écolophobe,
et même sexiste, populiste et fumeur mal
embouché?
Elles sont
supposées désigner un mouvement d'idées, ou courant de pensée, qui commença
grosso modo avec Bayle et Fontenelle pour culminer ( tout aussi grosso modo )
avec Emmanuel Kant, en passant par Montesquieu, Voltaire, Beccaria ou
Saint-Lambert (entre autres).
Il est remarquable
que le terme, en cette acception, soit absolument ignoré tant de Pierre
Larousse que d'Emile Littré, il n'apparut qu'au XXème siécle, et ne fut jamais
employé par les hommes dont il est supposé désigner le temps – temps où,
certes, la lumière se rencontre en
maintes phrases comme annonciatrice de la Vérité, phrases qui ne sont qu'un effet rhétorique employé aussi bien par les plus orthodoxes orateurs chrétiens que
les adversaires déterminés de la religion, et qui signifie, belle découverte,
que la lumière éclaire. Fiat lux !
Le sujet
est vaste, trop vaste pour un billet, je dois donc éliminer de mon propos
Emmanuel Kant ( et toute la misérable philosophie allemande, d'ailleurs alors
inconnue en France-- Kant ne figure
pas dans l'exhaustif index de mon édition des œuvres complètes de Voltaire en
97 volumes ), et me restreindre aux auteurs français, mais après tout, ce sont
eux, les grands ancêtres panthéonisés.
Ces
écrivains ne s'appelaient eux-mêmes, et ne se sont jamais autrement nommés, que
philosophes—et pour leurs
adversaires, ils formaient la secte des
philosophes qui, à partir de 1760
environ domina sans partage, et avec férocité, le petit monde des littérateurs.
Les plus
importants d'entre eux moururent avant1789, ceux qui vécurent après cette date
funeste, les La Harpe, Morellet, Grimm, Marmontel, Raynal dénoncèrent avec horreur la
Révolution, tandis que cet obstiné pourfendeur du despotisme que fut mon cher
Simon-Nicolas-Henri Linguet périssait sur l'échafaud républicain .
Hélas pour
nos contemporains adorateurs des prétendues Lumières,
les Voltaire, Rousseau, d'Alembert etc. ne se réunirent pas pour écrire un petit livre exposant succintement et
sans ambiguité une doctrine qu'ils ne conçurent jamais ( et encore moins une idéologie, terme très postérieur
recouvrant des conceptions totalitaires dont on peut être certain qu'elles
eussent répugné aux Philosophes).
Pour savoir
ce qu'ont pensé ces contempteurs du
despotisme qui multiplièrent les louanges outrées à ces despotes, d'ailleurs
admirables, que furent Frédéric et Catherine ( Diderot fut particulièrement
gâté par les largesses de la Sémiramis du
nord ), il faut consacrer quelques mois ( et peut-être un peu plus...) à
les lire véritablement, c'est-à-dire lire tous
leurs écrits, non des extraits ou les seuls textes recommandés par la doxa
scolaire, se rendre ainsi capable de séparer ce qui est écrit de circonstance, ruse
ponctuelle, concession à l'air du temps de ce qui exprime une pensée novatrice
et, surtout, soutenue avec la constance née de la conviction authentique.
Sans
prétendre avoir achevé cette tâche, par ailleurs agréable, je ne trouve de
clairement revendiqué dans ces œuvres si diverses ( avec un point
d'interrogation pour Jean-Jacques Rousseau qui ne dit blanc que pour vite
affirmer noir ) qu'une hostilité sans faille au catholicisme , non au
christianisme : au seul catholicisme apostolique et romain ( d'où la
justification de l'enthousiasme pour Frédéric et Catherine, l'un protestant et
l'autre orthodoxe, ou encore, chez Voltaire,
l'éloge des peu tolérants Quakers ou des peu connus Parsis...) , et c'est le catholicisme que dénonce , en
le déguisant sous une approximative défroque mahométane, Voltaire dans sa
tragédie intitulé Le fanatisme, ou
Mahomet le prophéte, de même que dans Les
Druides de Le Blanc de Guillet ou Les
Incas de Marmontel il est aisé de voir quel clergé vivant et présent se
cache sous l'apparence de prêtres exotiques
-- jusqu'à l'obsession, Voltaire , le plus grand et le plus influent des
Philosophes, ne cessa de marteler cet
appel à l'annihilation de l'Eglise de Rome, et elle seule : Ecrasons l'infâme !
Pour le
reste, nous trouvons dans ces innombrables pages le pire (incohérences,
injures, intolérance, fanatisme, protectionnisme ) et le meilleur (liberté de
conscience, liberté du commerce ), dès 1790 les Républicains en prirent ce qui
pouvait justifier les actes qu'ils avaient commis par impulsion plus que par
raison, et au fil des décennies se constitua ( avec l'inclusion inopinée de
Kant etc. ) une doctrine de l'esprit des Lumières (en fait, cette Déclaration des Droits de l'Homme sans
cesse réécrite selon les besoins du jour), doctrine que jamais n'élaborèrent
les Philosophes.
Suis-je héritier des Lumières ?
Je suis
héritier des Grecs et des Romains, des bardes et théologiens médiévaux, des
génies de la Renaissance et de l'Age classique, et des Philosophes et des
romanciers et poétes du siècle suivant
-- je suis héritier des textes que je lis, mais non d'une imposture.
« Je suis héritier des textes que je lis » : on s'en ferait volontiers une devise, de celle-là…
RépondreSupprimerBien des "héritiers des lumières" n'en sont pas. Comment expliquer une telle dégénérescence ?
RépondreSupprimerQuant à Kant grand Philosophe (je reprends votre majuscule), dire que ses propos obscur aient jeté quelque lumière sur des sujets réels, j'en doute.
L'Eglise a toujours pratiqué la contre -sélection raciale : dès les derniers temps de l'Empire Romain, lorsque les conditions sociales étaient telles que quiconque désirait une vie paisible et studieuse se trouvait contraints de chercher un refuge contre la violence des temps dans des monastères, elle a tenté d'y imposer le célibat, privant ainsi l'Occident naissant de la descendance de ces esprits. Après son effondrement et tout au long du Moyen-Âge, les éléments furent récupérés, surtout à partir de l'école obligatoire voulue par Charlemagne : les religieux chargés de l'éducation des enfants, dès qu'ils repéraient les plus intelligents, les extrayaient du lot, les tonsuraient et les intégraient dans le clergé, où ils étaient censés ne point se reproduire, ou en tous cas moins que le reste de la population.
RépondreSupprimerLes adultes émancipés de la superstition biblique, progressistes ou intellectuels, furent éliminés avec persistance sur une large échelle par la persécution, la mise à mort, l'emprisonnement et le bannissement, laissant la perpétuation du peuplement aux brutes, aux serviles et aux crétins. L'Eglise Romaine a ainsi drastiquement diminué la puissance cérébrale de l'Europe, et si beaucoup de religieux n'étaient passé outre et n'avaient baisé quand-même, l'Occident serait devenu un des ces civilisations figées comme on en trouva en Ancienne Egypte ou en Asie.
On ne pouvait imaginer meilleure méthode pour éliminer les lignées de génie des nations, car dans les monastères, à coté d'un réel enseignement, les moines étaient soumis à un conditionnement sous la forme d'un système d'interruption du sommeil : réveillés plusieurs fois par nuit pour aller dire des prières, on leur faisait toute leur vie répéter en boucle d'abrutissants versets hébraïques. Jamais un religieux ne pouvait connaître un temps de sommeil complet, et la même antienne était imposée pendant les repas. La Réforme mit progressivement fin à tout cela, mais non sans mal car l'Eglise, plus prompte à pardonner aux malandrins, assassins et autre délinquants de droit commun, qu'à ceux qui osent penser et réflechir hors du champ des Ecritures, se déchaîna à leur encontre. Une autre élimination d'intelligence eut lieu en Italie Septentrionale, en France et aux Pays-Bas ou des centaines de milliers de huguenots furent tués ou exilés. En Espagne seulement, de 1471 à 1781, l'Inquisition condamna au bûcher ou à la prison une moyenne de 1000personnes/an. Durant ces trois siècles, pas moins de 32000 personnes furent envoyées au bûcher, 291000 condamnées à la prison et 17000 brûlées en effigie pour s'être enfuies ou l'étranger, ou être mortes en prison.
Pittoresque, Mademoiselle, votre délirante manière d'interpréter l'Histoire...
SupprimerJ'ai eu le même commentaire chez moi. Noix Vomique y avait apporté cette délicieuse réponse
Supprimer"Hum… "Après la chute de Rome et tout au long du Moyen-Âge, les éléments intellectuellement prometteurs furent récupérés, surtout à partir de l’école obligatoire voulue par Charlemagne…" J’ai arrêté la lecture là. Comme historienne, France Gall n’a jamais vraiment été ma tasse de thé."