Il existe
des milliers et des milliers de livres que j'aurais pu ou pourrais lire ( ou
des films que je pourrais voir, des disques que je pourrais écouter... ) , que
je n'ai pas lus, que je ne lirai jamais, que j'ai repoussés par l'idée que je
m'en fais, c'est-à-dire un préjugé , lequel est un péché contre l'esprit, mais péché nécessaire - le temps, cette denrée inéluctablement
limitée (sauf pour les immortels) , m'imposant par sa rareté même de choisir
sans connaître, sans savoir véritablement.
Pour les
livres, je me fie à des indices, la réputation de l'auteur, le souvenir d'un
ouvrage précédent lu avec ennui ou bonheur, le sujet, l'opinion d'une personne
de confiance , indices que je peux trouver de mauvais conseil si, sur leur foi,
j'ai cédé à lire des pages que je juge exécrables, ou s'ils m'ont fait rejeter
une œuvre dont, l'ouvrant plus tard par je ne sais quelle impulsion, je me
délecte en rageant de ne pas l'avoir lue plus tôt.
Et les
humains ? Une première rencontre avec un homme ou une femme fait naître en
nous, le plus souvent de l'indifférence, parfois de la sympathie, parfois de
l'antipathie, sentiments qui tiennent en bien des cas à l'idée a priori que
nous nous faisions de cette personne, par ce que nous en avions entendu dire, et
qu'un rien trompeur peut conforter, sans qu'il soit exclu que nous nous
donnions le plaisir rebelle de la juger contraire à l'image qui nous en avait
été donnée, non pour les qualités ou les défauts qu'elle aurait brièvement
laissé paraître, mais pour le plaisir
d'une réévaluation qui a le mérite de nous faire croire à nos propres yeux plus
perspicaces qu'autrui, et heureusement dépourvus
de préjugés.
Il arrive
que quelque hasard nous fasse rencontrer et nous entretenir avec un être humain
sur qui nous n'avons rigoureusement aucune information , et alors nous
pouvons croire que l'impression que nous nous formons est de la plus grande
pureté, n'étant entachée de nulle rumeur préalable, en oubliant que les circonstances
de la rencontre, son lieu même, peuvent suffire
à nous rendre favorable ( ou défavorable) à l'inconnu -- si vous nouez conversation avec le client
d'une bouquinerie familière, c'est parce que vous pensez que, par sa présence
en cette échoppe, il partage vos goûts , si vous êtes confronté à un argousin
qui vous a traîné de force dans une geôle, à cet homme dont pourtant nulle
relation ne vous a dit de mal, vous serez peu enclin à accorder d'emblée votre
affection.
A chaque
instant de notre vie, nous sommes contraints de faire des choix, et ces choix
nous engagent, car il en découlera des joies, des pertes de temps ou d'argent,
des souffrances, des malheurs, des satisfactions ( et que, dans les sociétés
actuelles, une flopée de lois sociales cherchent à préserver les citoyens des
conséquences de leurs choix est un autre sujet, fort bien traité par les auteurs
qui ont démasqué et pourfendu la
déresponsabilisation des individus , déresponsabilisation qui ne poura pourtant
jamais être totale, j'espère y revenir).
Ainsi,
choses ou gens, nous discriminons, et comme cette discrimination est
essentielle à la nature humaine, les politiciens ont édicté des lois pour lutter contre.
Comme toute
législation constructiviste, ces lois se
paraient de bonnes intentions -- aider
des êtres humains victimes de préjugés – et contenaient une mauvaise intention
– abolir la liberté de choix d'autres individus.
J'ai, dans
un précédent billet, examinés les conséquences perverses, sur le seul point de
l'embauche, de ces lois, je souhaite
éviter, malgré mon grand âge, de trop rabacher, aussi, ce matin, je tiens
seulement à rappeler ce que dissimule ce
discours dominant dont la seule fonction est de vouloir abolir la réalité : que
les discriminations ne sont ni bonnes ni
mauvaises dans le sens moral, et ici inapproprié, de ces mots, que si elles
peuvent être bonnes ou mauvaises ce
le sera seulement dans le sens que leur
résultat sera bon ou mauvais pour l'individu qui a discriminé, ce dont
celui-ci est seul juge.
Les
discriminations, il faut sans cesse le répéter, sont dans la nature de l'homme ( et de l'animal ) et en faisant de la lutte-contre-les-discriminations l'un de leurs impératifs
très-catégoriques, en cherchant chaque
jour à en augmenter le champ de la prohibition, c'est cette nature même de
l'homme que les politiciens de tous bords veulent modifier, en attendant de
l'abolir pour régner sur de serviles protozoaires, après avoir détruit toute
identité, toute différence – toute individualité .
Il serait
curieux qu'ils y parvinssent.
je ne comprends pas bien " en faisant fait "
RépondreSupprimer"Il serait curieux qu'ils y parvinssent ", je trouve qu'hélas, ils ne s'en sortent pas si mal.
En réécrivant cette phrase j'ai, honte à moi!, oublié de supprimer cet antérieur "fait" devenu inutile ( et même, là, plus que superflu) , je corrige... merci, Corto !
RépondreSupprimerJe commence à en avoir un peu assez de me répéter, mais je trouve ce billet parfait.
RépondreSupprimerIl faudrait aussi écrire un Éloge du préjugé, un de ces jours…
Merci, mais c'est trop d'indulgence ( ou l'effet du pastis ?).
SupprimerJe suis sobre comme un chameau salafiste !
SupprimerC'est chose faite :
RépondreSupprimerhttp://aristideter.blogspot.fr/2012/06/eloge-du-prejuge.html
Je suis né trop vieux dans un monde trop tard, c'est mon drame…
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