Célèbre de
son vivant, tant par son brillant talent que par son art de se faire des
ennemis puissants, Nicolas-Joseph-Laurent Gilbert ( 1751-1780) fut chanté par
les Romantiques, surtout par Alfred de Vigny, qui voyaient en lui le destin de
l'artiste idéalement accompli, un poète mort en pleine jeunesse, épuisé de
misère, de souffrances et de rejets ( ce qui est assez inexact : Gilbert mourut
effectivement jeune, mais sans être vraiment pauvre, et encore moins ignoré).
Les décennies passèrent, la gloire de Gilbert s'estompa et, dans ma jeunesse,
on ne connaissait plus de lui que ce vers, qui est beau :
"Au
banquet de la vie, infortuné convive "
puis l'oubli
devint quasi-total.
Apologiste du Trône et de l'Autel, pourfendeur
des Diderot , d'Alembert et de leur clique philosophique,
Gilbert avait choisi le mauvais cheval pour entrer au panthéon des manuels
scolaires et républicains, où il faut, pour y être honoré malgré des
convictions contraires au sens de
l'histoire, montrer un génie dont la force finit par briser le préjugé, ce
qui se paye souvent par des explications de textes, qui sont trucages et
déformations, comme la lecture marxiste
du royaliste Balzac.
Sans
égaler les plus grands, Gilbert est infiniment
supérieur aux pauvres mirlitoneries des poètes officiels de l'actuelle
république ( la couineuse cohorte des Char, Eluard, Prévert dont les vers
oscillent entre le charabia prétentieux, l'incantation ronflante et le
calembour pour commis-voyageurs, et dont le plus grand mérite est d'avoir été membre ou compagnon de route du parti
stalinien) , pour ma part, plus que la partie élégiaque, qui ne s'accorde guère
à ma sensibilité plus terre-à-terre ), ce sont ses pièces satiriques qui
m'enchantent.
Dans Le dix-huitième siècle , satire longue
de cinq cents vers dignes de Juvénal ou Boileau contre la corruption des mœurs
et de l'esprit, Gilbert ouvre le feu en attaquant seigneurs et grandes dames
:
"Suis
les pas de nos grands, énervés de mollesse,
Ils se traînent à peine, en leur vieille
jeunesse,
Courbés
avant le temps, consumés de langueur,
Enfants
efféminés de pères sans vigueur;
(...) La
plupart, indigens au milieu des richesses
Achètent
l'abondance à force de bassesses
(...) Arcas
, sultan goutteux, veut avoir vingt maîtresses,
Mais, en
fripon titré, pour avoir leurs appas,
Arcas vend
au public le crédit qu'il n'a pas."
"(...)J'aurais
pu te montrer nos duchesses fameuses,
Tantôt
d'un histrion amantes scandaleuses,
Fières de
ses soupirs, obtenus à grand prix.
Elles-mêmes aux railleurs dénonçant leurs
maris.
(...) De
nouvelles Sapho, dans le crime affermies,
Maris de
nos beautés sous le titre d'amies;
Et de
galants marquis, philosophes parfaits,
En petite
Gomorrhe érigeant leurs palais."
Quant
à ses confrères auteurs... :
"
Saint-Lambert, noble auteur, dont la muse pédante
Fait des
vers fort vantés par Voltaire qu'il vante.
(...) Et
ce vain Beaumarchais, qui trois fois avec gloire
Mit le mémoire en drame et le drame en
mémoire [*]
Et ce
lourd Diderot, docteur en style dur,
Qui
passe pour sublime, à force d'être obscur;
Et ce
froid d'Alembert, chancelier du Parnasse
Qui se
croit un grand homme et fit une préface."
Mais
j'ai le sentiment que des extraits d'une œuvre dont c'est l'ampleur, la
progression, le rythme d'ensemble qui emportent et séduisent ne lui rendent pas justice, j'arrête donc mon
labeur de copiste et vous laisse, ô lectrice, ô lecteur, vous précipiter chez
quelque bouquiniste pour acquérir les œuvres du pauvre Gilbert.
* Allusion
aux Mémoires contre le conseiller Goëzman,
textes de défense juridique dans lesquels Beaumarchais montre un admirable génie
littéraire ( et que je trouve supérieurs au Barbier
de Séville et au Mariage de
Figaro...).
On est sur un bon rythme de restauration de tous les académismes poussiéreux, dont vous vous faites le porte-parole et même l'imitateur dans votre style ampoulé.
RépondreSupprimerBientôt, nous aurons droit, je suppose, à une analyse émerveillée de La France Juive de Drumont, du "Clairon sonne la charge" de Déroulède et enfin du "Maréchal nous voilà"
Robin.
Tiens, l'anonyme cloporte a oublié "Mein Kampf".
SupprimerEn effet, ça donne très envie d'aller y voir d'un peu plus près et un peu plus longtemps ! Merci pour la découverte…
RépondreSupprimer(Et merde à Robin, tiens !)
Et ce froid d'Alembert, chancelier du Parnasse
RépondreSupprimerUn homme de lettres qui croit avoir le droit de juger un homme de science frise le ridicule avec la pertinence d'un coiffeur pour dames.
Quand un scientifique se fait aussi "philosophe" et polémiste, je ne vois pas en quoi un autre écrivain devrait s'interdire de le juger voire de le combattre ! Et même un coiffeur pour dames, du reste. Le ridicule serait, sans rien y connaître, de le combattre sur le terrain des mathématiques pures, sans doute.
SupprimerBien sûr, on peut toujours couper les cheveux en quatre, sport favori des coiffeurs pour dames. N'empêche que dire ce froid d'Alembert, c'est porter un jugement global sur un homme dont ignore l'oeuvre majeure.
SupprimerD'ailleurs l'Histoire a tranché.
Pendant que j'y suis, cher Monsieur Goux, je vous ferais remarquer que vous avez employé la locution je ne vois pas en quoi qui est une variante élégante du célèbre j'vois pas pourquoi qui permet à moult internautes de justifier...n'importe quoi (portnawak en djeun). N'y voyez aucune malice.
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