Polygraphe
à qui il arriva de vendre sa plume selon les aléas du temps, mais érudit
extraordinaire, M. Jacques-Barthélémy Salgues ( 1760-1830) publia en trois
volumes parus en 1810, 1811 et 1813 une œuvre remarquable intitulée Erreurs et préjugés à travers les âges (réédition : Paris, 1999, avec une
agréable préface de M. Hubert Monteilhet, dont les romans ont fait mes délices
).
Feu Salgues
ne distingue pas entre l'erreur et le préjugé qui certes souvent se confondent
, bien des préjugés naissant d'erreurs, mais ce n'est pas là une nécessité , et
le préjugé peut, à la suite de meilleures observations, se révéler expression
d'une vérité.
Quoiqu'il en soit, M. Salgues donne
l'impression d'avoir lu tous les livres, des Anciens à ses contemporains, et
c'est avec autant de verve que d'ironie subtile qu'il en extrait, et commente,
récits extravagants, jugement aberrants
et conclusions désinvoltes auquels il oppose, plus souvent que les acquis d'une
science nouvelle, le simple bon sens.
Abordant la question des races, il commence son chapitre par cette interpellation :
"D'où viens-tu, animal à deux pieds, sans
plumes, avec ta peau noire, tes yeux ronds, ton nez épaté, tes grosses lèvres
et tes cheveux crêpus ? Es-tu, comme moi, formé à l'image de Dieu? Proviens-tu
du même père et de la même mère que moi ? Est-ce Adam et la belle épicurienne
Eve qui t'ont donné naissance ? Ces pères du genre humain s'amusaient-ils, en
variant leurs plaisirs, à créer alternativement des enfants blancs et des
enfants noirs, des rouges, des cuivrés et des blafards, comme Jacob créait des
agneaux de diverses couleurs en mettant sous les yeux de leurs mères des batons
blancs et des batons noirs ? Si j'en crois d'honnêtes théologiens, tu descends
de Caïn , à qui Dieu noircit l'épiderme pour le punir d'avoir tué son cher
frère Abel; ou de Cham, que le Très-Haut condamna à avoir le nez épaté, les
cheveux crêpus et un teint de suie pour avoir méchammment révélé la nudité de
son père et s'être permis envers lui de très indécentes épigrammes."
S'ensuit
une longue énumération de multiples opinions et assertions, les unes exprimant,
par la science anatomique , l'infériorité certaine des hommes noirs , d'autres
célèbrant les grandeurs et beautés des civilisations d'Afrique, certaines
enfin, comme les travaux de M. Blumenbach (1752-1840), fameux naturaliste et
heureux propriétaire de la plus belle collection de crânes et peaux humaines
d'Europe, se perdant en de vaines recherches des origines.
De ce
pittoresque fatras, exaltant ou abaissant tour à tour l'humain à peau noire,
laissons le lecteur démêler l'erreur du préjugé, quant à M. Salgues il serait
injuste de l'accuser de la moindre pensée contraire aux lois d'aujourd'hui.
Et, autre
créature dont l'appartenance à l'espèce humaine fut longtemps incertaine, la femme?
Après avoir cité le trop oublié traité
intitulé : Quod mulieres non sint homines
( Que les femmes ne sont point de l'espèce humaine ), dont l'auteur fonde son
propos sur les œuvres des Pères de l'Eglise et de théologiens variés, M. Salgues rappelle que :
"Vers
le commencement du douzième siécle, un docteur de Paris [ Amauri de Bène] ne
s'avisa-t-il pas de ressusciter la doctrine d'Aristote, et de répéter que les
femmes n'étaient qu'un ouvrage informe, une production vicieuse échappée des
mains de Dieu dans un moment de faiblesse ou de distraction? Que fit l'évêque
diocésain ? Il convoqua un concile : on examina la doctrine incivile du
théologien, on la déclara hérétique, mal sonnante, on la frappa d'anathème . Et
pour venger le beau sexe d'une manière exemplaire, on ordonna que le corps du
docteur [ prudemment mort auparavant]
serait exhumé et traîné à la voierie ; ce qui fut exécuté à la grande
satisfaction de nos jolies parisiennes."
Eh oui, en
ce barbare Moyen-Age dominaient déjà les défenseurs des droits des femmes...
Etres
humains donc que les femmes, mais égales
des hommes ?
Un
véritable raz-de-marée dc citations, rassemblées par M. Salgues , nous prouvent
que loin de se contenter d'être égales, les femmes sont quasiment en tous
domaines supérieures aux misérables
mâles!
Hélas, il
n'y a pas unanimité, car quelques savants, ignorant sans doute les beaux romans
de Mme Riccoboni et de Mme Cottin, indubitables preuves de l'excellence
féminine, déduisent, examen de crânes à l'appui, du plus petit volume du
cerveau de nos compagnes une infériorité d'intelligence.
Mais
quittons ces périlleux débats, aujourd'hui tranchés par des lois, car M.
Salgues a également abordé le régne animal, examinant le pour et le contre sur,
par exemple , la repousse de la tête du colimaçon fraîchement décapité ou les
qualités de maître à danser de la
tarentule.
L'ouvrage
de M. Salgues est aussi divertissant qu'instructif, mais pour en composer un
équivalent contemporain, il faudrait prévoir plus de trois volumes.
Ce Monteilhet, c'est bien celui qui a écrit un roman centré sur Néron, dont je garde un excellent souvenir ?
RépondreSupprimerCe M. Monteihet a écrit une bone vingtaine de chefs d'oeuvre, son Neropolis ( qui doit beaucoup aux conseils de mon maître Pierre Grimal ) étant quelques niveaux en-dessous...
SupprimerVotre Salgues me semble bien indécis.Son manque de préjugés n'est-il pas une erreur ?
RépondreSupprimerEt vice-versa ?
Supprimer(Lien chez vous ; ça marche !!!)