Un
prospectus dans la boîte aux lettres. Une dame voisine, inconnue de moi mais
que je suppose, à son ton, parisienne et
lectrice de magazines féminins, se propose de créer une Association pour la sauvegarde du patrimoine architectural de T***
, commune où je vis, et où le plus laxiste des esthètes post-modernes serait
bien en peine de dénicher le moindre patrimoine
architectural.
Est exposé
l'ordre du jour de la réunion
fondatrice, à la seconde ligne :
Recherche et demande de subventions.
Une revue
de modèlisme ferroviaire, un communiqué annonce des stages pour former à la
création de clubs d'amateurs de p'tits trains ( ce que je suis, solitairement )
, à la troisiéme ligne du programme :
Recherche et demande de subventions.
La gazette locale
consacre une demi-page à l'énumération des
subventions accordées à diverses associations; pour une commune proche :
soixante euros aux joueurs de boules, cinquante aux pêcheurs à la ligne,
quatre-vingts aux fidèles de la belote, etc. etc. , et ainsi pour chaque
commune du canton, sommes dérisoires mais distribuées dans tout le pays des
dizaines de milliers de fois -- dizaines de millions et dizaines de millions ,
doublés ou triplés par les coûts d'étude des dossiers et de mise en
paiement.
Un monsieur
envisage-t-il de créer sur ce champ peu cultivé un atelier qui emploiera trois
personnes ? Aussitôt, il rend visite aux autorités,
pour s'enquérir des subventions disponibles.
Parfois, j'accordais
audience à un digne universitaire venu me proposer d'éditer son nouvel ouvrage,
dont le sujet n'intéressait guère que lui-même et quelques collègues; me
sentant réticent, il s'empressait d'ajouter : "mais j'ai des subventions pour le publier."
Il n'est
pas nouveau que les hommes réclament des faveurs au pouvoir, il semble même que
cette attitude existe depuis l'origine de sociétés pourvues d'un gouvernement,
ou d'un souverain ; en lisant les Journaux
et Mémoires des marquis de Sourches
et de Dangeau, il n'y a guère de jour que je ne trouve : "M. le comte de
B*** a obtenu une pension de trois mille livres, M. le baron de S*** une
pension de deux mille écus, M. le duc de M*** a reçu du Roi mille pistoles...
", parfois, ces pensions récompensaient des services rendus, ou étaient
l'équivalent d'une retraite pour un vieux militaire , beaucoup n'étaient que des faveurs , mais
jamais ne se fait entendre la moindre phrase suggérant que ces pensionnés se
fussent interrogés sur l'origine de l'argent que leur octroyait le Roi-Soleil.
Peut-être
savaient-ils , de ce savoir trop évident pour qu'il entraîne la moindre
réflexion, que livres et écus venaient de la taille, mais ils ne voyaient pas
que c'étaient leurs propres revenus qui étaient, in fine, diminués par cet
impôt frappant leurs paysans, de même ne cherchaient-ils pas les raisons qui poussaient le souverain à
augmenter péages et droits d'octroi, et quand Louis XIV, voyant vide son
trésor, créa la capitation , puis le vingtième et le dixième, impôts prélevés également sur les nobles (car sous la
Monarchie il arriva bien souvent que les nobles payassent des impôts
directs...), ils ne comprirent pas plus que leurs propres demandes étaient responsables des besoins du souverain – et de leur
imposition.
En
démocratie, il est d'usage de créer des impôts qui paraissent épargner la masse
des électeurs des législateurs qui les promouvent, tels l'impôt sur le revenu
ou celui sur le patrimoine, et il est certes bien confortable pour cette masse
de recevoir des sous pris à autrui.
Hélas,
c'est à chaque instant que s'accroît la montagne d'argent distribué à des
océans de quémandeurs, et arrive le moment où il devient impossible de faire payer autrui, parce que cet autrui a les
poches vides, ou ne produit plus, ou est allé travailler sous d'autres cieux,
et il est alors nécessaire, pour que continue la distribution de manne,
d'élargir l'assiette de divers impôts
directs , transformant ainsi en contribuables les pensionnés qui ne
contribuaient pas, puis d'augmenter ces impôts
indirects perçus sur la totalité des citoyens, mais qui,
proportionnellement, diminuent plus le pouvoir d'achat réel des smicards que
des zillionnaires.
Excellents
citoyens qui, malins comme des singes, prospéraient dans la joie de faire payer
par M. Etat ( soit dans leur esprit : personne, ou le voisin ) leurs menus
plaisirs ou leurs projets incertains, le cartable
de leurs enfants ou la bonne de leur vieille mère, leur loyer ou leurs dettes,
qui suppliaient sans cesse pour que fussent créées plus d'écoles pour garder
leur marmaille et construits plus d'hôpitaux pour soigner de dérisoires bobos,
et que la corne d'abondance déversât sur eux éternellement des bienfaits qui ne
leur coûtaient rien.
Mais voici
que la machine s'emballe, et que les citoyens privilégiés se découvrent accablés d'impôts , et ils se plaignent,
manifestent même , tels ces Armoricains si longtemps gavés des subventions de la PAC, faudrait-il donc,
horreur ! , qu'ils payent pour recevoir
?
Vous
voulez, citoyens électeurs , moins d'impôts ? Et si vous cessiez de mendier ?
PS.
J'entends : " je demande des subventions pour récupérer , en partie, ce
que M. Etat me prend". Selon toutes les théories de la justice, rien de plus juste. Mais dans la réalité, pour que quelque chose change en ce domaine,
il faut que quelqu'un commence – et
ce ne sera pas M. Etat.
Trop d'impôt tue l'impôt.
RépondreSupprimerExcellent billet au passage, toujours sur ce ton inimitable qui est votre marque de fabrique.
Merci !
RépondreSupprimerIl y a cependant parmi les mendiants certains qui reçoivent beaucoup de l'état et lui rendent très peu. Sachant de quel côté leur tartine est beurrée, ils votent à gauche. N'importe comment, ce sont les classes moyennes (et la moyenne commence très bas) qui touchent le moins et qui payent le plus.
RépondreSupprimerVous avez cependant raison : la manie de tout subventionner nous coûte bien cher. Prenons le cas des panneaux solaires : on paye au particulier qui les installe un prix du kilowatt exagéré mais qui ne permet pas pour autant de rentabiliser la coûteuse installation nécessaire. Le surcoût de cette électricité est supporté par tous afin de permettre à de belles âmes d'investir dans des systèmes manifestement non-rentables. C'est une absurdité parmi tant d'autres. Si le renouvelable n'est pas rentable en l'état des techniques, attendons qu'on en ait trouvé de meilleures.
A part ça, ce billet est excellent, peut-être même plus que d'habitude...
Malin comme des singes dites vous?
RépondreSupprimerCette intolérable attaque contre la république ne restera pas impunie!