david in winter

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Editeur. Ecrivain. Dilettante

jeudi 19 septembre 2013

Sexe : ce qui est perdu



   Il se souvenait.
   Cette après-midi, les enfants du fermier, un garçon, une fille, qui lui avaient toujours paru être du même âge bien qu'un an sans doute les séparât, sans qu'il eût pu dire qui l'emportait en aînesse, l'avaient emmené dans une étable et là, accroupie sur la paille maculée de bouse, tandis que son frère riait déjà, d'un rire qui lui demandait à lui, l'enfant du château, de s'apprêter à regarder, elle avait relevé sa blouse et, souriante elle aussi, avait crânement pissé.
   Mais de quoi se souvenait-il exactement ? De la clandestinité du spectacle, qui exigeait que l'on se cachât, et qui lui semblait plus interdit aux adultes qu'interdit par les adultes, mais non de ce qui lui avait été montré-- cette intimité autre dévoilée, et si radicalement autre qu'il n'y apparaissait, par rapport à son propre corps, rien, rien qui pût se graver dans sa mémoire.
  Plus tard, vers ses dix ans, lui vint un désir anxieux de connaissance, de savoir, selon les termes que formait son esprit et dont le vague même était excitant, comment c'était fait, alors il regardait dans le grand Larousse familial les planches beaux-arts, espérant trouver réponse dans les reproductions de tableaux anciens à sujet mythologique où les femmes étaient nues, mais si leur poitrine se dévoilait, sur le bas de leur ventre quelque tissu flottait,  opaque censure du drapé.
   Plus tard encore, quand il eut de l'argent de poche, la permission d'aller seul dans les rues de la ville capitale, et que sa soif d'abolir le mystère était devenue d'autant plus intense  que son corps était prêt,  avec une vigueur inédite, à s'unir à cet autre qu' il était incapable de se représenter, il réussit à acheter, étant grand pour son âge, des revues interdites aux mineurs dont les pages, secrétement contemplées, lui offraient , imprimées en sépia, les images luxurieuses de demoiselles portant bas et porte-jarretelles, rien de plus, aux seins, toujours lourds, quémandant caresses et baisers, et plus bas... plus bas, pour obéir à la Loi, il y avait une surface bombée, lisse, vide – un fantôme de pubis retouché à la gouache pour que demeurât inconnu le toujours grand mystére.
   Il affina sa quête, réussit à dénicher des revues scandinaves qui, ignorant le puritanisme catholique, ne retouchaient pas les images défendues, hélas, c'était des revues naturistes et, si elles offraient à ses regards d'intimes toisons, les poses étaient pudiques, et jamais n'étaient ouvertes ces cuisses entre lesquelles nichait des délices qui se refusaient à son regard.
  Il se procura des livres, des romans alors interdits, car il ne craignait pas de braver la Loi, plongea dans un enfer de vices et perversions très-littéraires, son vocabulaire s'enrichit, il commença à pouvoir désigner par des mots crus aussi bien que par des métaphores subtiles, mais il ne voyait encore pas.
   Déçu de l'insuuccès de sa chasse, comme de tout effort sans récompense, il  n'en fut cependant pas malheureux, il  éprouvait même une plaisante jouissance à la pensée toute d'espérance que quand viendrait le moment de contempler, en vrai, et dans un délicieux élan de très-romantique passion, ce qu'aucune image ne lui avait montré, aucun souvenir ne troublerait l'extase d'une révélation en quelque sorte sanctifiée par son ignorance passée.
  C'était jadis.
  Aurait-il dix ans aujourd'hui, de deux clicks, un click pour entrer dans le site, un second click pour assurer être majeur, il apprendrait tout de la plus secrète anatomie humaine, il s'initierait par l'image à la pratique de la double pénétration, de la gorge profonde, du bukkake, du gang bang, sans oublier bondage et douche dorée... avant même l'éveil concret de sa virilité, il saurait tout de ses plus inventifs usages, et peut-être serait-il blasé avant d'avoir vécu.
  Et cet enfant d'aujourd'hui n'aurait pas le sentiment d'avoir perdu quoique ce soit , car on ne peut perdre ce qui pour soi n'a jamais existé, quant au vieil homme, arrivé en ce temps où il y a plus à explorer dans l'hier que le demain, il regarde changer le monde, changer le cheminement de cette construction de soi si fondamentale qu'est l'apprentissage du sexe, et il ne se dit ni c'est bien ni c'est mal, seulement qu'il en est désormais ainsi – et qu'ont disparu de douces et irritantes émotions, dont plus jamais ne frémira un homme ( et, symétriquement, aucune femme).

9 commentaires:

  1. Avant, il y avait le sexe, maintenant il y a le cul,ce que l'on croit avoir gagné en liberté de consommation, nous l'avons perdu en fraîcheur.

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  2. Et si le mystère du sexe était ailleurs ? N'est-ce pas au pied du mur et non devant l'image du mur que l'on voit le maçon ?

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    1. Oui, mais ce n'est plus de mise dans une société où l'on doit consommer. Nicolas Peyrac l'a chanté :

      Quand vous flirtiez en ce temps-là,
      Vous vous touchiez du bout des doigts.
      La pilule n'existait pas.
      Fallait pas jouer à ces jeux-là.
      Vous vous disiez "je t'aime",
      Parfois même
      Vous faisiez l'amour.
      Aujourd'hui, deux salades,
      Trois tirades
      Et c'est l'affaire qui court.

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  3. Avant, il y avait le déniaisement artisanal, si je puis dire. Aujourd'hui, c'est le déniaisement quasi industriel autant que virtuel. Tout se perd !

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    1. Je crains que ces jeunes gens ne restent niais, même après le déniaisement....

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    2. Je crois surtout que ces jeunes gens ne sont pas si cons et savent faire la différence entre les élans de leurs hormones et ceux de leur cœur.

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  4. "Le sexe sans inhibition est sans amour aussi bien que sans pudeur, car l’amour est ressenti comme une contrainte. Aimer limite vos options. Il est bien préférable de s’endurcir un peu, de manière à pouvoir partir lorsque vient le matin. Avec cette attitude, vous oubliez que si vous désirez le sexe plutôt que la conquête, vous pouvez égaler le record de Don Giovanni en étant heureusement marié. Et pour y parvenir il n’est nul besoin d’être riche ou d’être un aristocrate. En fait, il est plutôt préférable de n’être ni l’un ni l’autre. Mais Don Giovanni chantait magnifiquement pour duper ses conquêtes. Avec la libération sexuelle il n’y a plus de tromperie, plus de séduction, plus de jeu, plus de nuance, plus de galanterie, plus de romance, et Mick Jagger à la place de Mozart. Il y aura peut-être des préservatifs, si vous avez de la chance."

    Harvey Mansfield

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