Il se
souvenait.
Cette
après-midi, les enfants du fermier, un garçon, une fille, qui lui avaient
toujours paru être du même âge bien qu'un an sans doute les séparât, sans qu'il
eût pu dire qui l'emportait en aînesse, l'avaient emmené dans une étable et là,
accroupie sur la paille maculée de bouse, tandis que son frère riait déjà, d'un
rire qui lui demandait à lui, l'enfant du château, de s'apprêter à regarder,
elle avait relevé sa blouse et, souriante elle aussi, avait crânement pissé.
Mais de quoi
se souvenait-il exactement ? De la clandestinité du spectacle, qui exigeait que
l'on se cachât, et qui lui semblait plus interdit aux adultes qu'interdit par
les adultes, mais non de ce qui lui avait été montré-- cette intimité autre dévoilée,
et si radicalement autre qu'il n'y apparaissait, par rapport à son propre
corps, rien, rien qui pût se graver dans sa mémoire.
Plus tard,
vers ses dix ans, lui vint un désir anxieux de connaissance, de savoir, selon
les termes que formait son esprit et dont le vague même était excitant, comment c'était fait, alors il regardait
dans le grand Larousse familial les
planches beaux-arts, espérant trouver
réponse dans les reproductions de tableaux anciens à sujet mythologique où les
femmes étaient nues, mais si leur poitrine se dévoilait, sur le bas de leur
ventre quelque tissu flottait, opaque
censure du drapé.
Plus tard encore, quand il eut de l'argent de
poche, la permission d'aller seul dans les rues de la ville capitale, et que sa
soif d'abolir le mystère était devenue d'autant plus intense que son corps était prêt, avec une vigueur inédite, à s'unir à cet autre
qu' il était incapable de se représenter, il réussit à acheter, étant grand
pour son âge, des revues interdites aux
mineurs dont les pages, secrétement contemplées, lui offraient , imprimées
en sépia, les images luxurieuses de demoiselles portant bas et
porte-jarretelles, rien de plus, aux seins, toujours lourds, quémandant
caresses et baisers, et plus bas... plus bas, pour obéir à la Loi, il y avait
une surface bombée, lisse, vide – un fantôme de pubis retouché à la gouache
pour que demeurât inconnu le toujours grand mystére.
Il affina sa quête, réussit à dénicher des
revues scandinaves qui, ignorant le puritanisme catholique, ne retouchaient pas
les images défendues, hélas, c'était des revues naturistes et, si elles
offraient à ses regards d'intimes toisons, les poses étaient pudiques, et
jamais n'étaient ouvertes ces cuisses entre lesquelles nichait des délices qui
se refusaient à son regard.
Il se procura des livres, des romans alors
interdits, car il ne craignait pas de braver la Loi, plongea dans un enfer de
vices et perversions très-littéraires, son vocabulaire s'enrichit, il commença à pouvoir désigner par des mots crus aussi bien que par des
métaphores subtiles, mais il ne voyait encore pas.
Déçu de
l'insuuccès de sa chasse, comme de tout effort sans récompense, il n'en fut cependant pas malheureux, il éprouvait même une plaisante jouissance à la
pensée toute d'espérance que quand viendrait le moment de contempler, en vrai,
et dans un délicieux élan de très-romantique passion, ce qu'aucune image ne lui
avait montré, aucun souvenir ne
troublerait l'extase d'une révélation en quelque sorte sanctifiée par son
ignorance passée.
C'était
jadis.
Aurait-il dix
ans aujourd'hui, de deux clicks, un
click pour entrer dans le site, un
second click pour assurer être majeur, il apprendrait tout de la
plus secrète anatomie humaine, il s'initierait par l'image à la pratique de la double pénétration, de la gorge
profonde, du bukkake, du gang bang, sans oublier bondage et douche dorée...
avant même l'éveil concret de sa virilité, il saurait tout de ses plus
inventifs usages, et peut-être serait-il blasé avant d'avoir vécu.
Et cet
enfant d'aujourd'hui n'aurait pas le sentiment d'avoir perdu quoique ce soit ,
car on ne peut perdre ce qui pour soi n'a jamais existé, quant au vieil homme,
arrivé en ce temps où il y a plus à explorer dans l'hier que le demain, il regarde
changer le monde, changer le cheminement de cette construction de soi si
fondamentale qu'est l'apprentissage du sexe, et il ne se dit ni c'est bien ni
c'est mal, seulement qu'il en est désormais ainsi – et qu'ont disparu de douces et irritantes
émotions, dont plus jamais ne frémira un homme ( et, symétriquement, aucune
femme).
Avant, il y avait le sexe, maintenant il y a le cul,ce que l'on croit avoir gagné en liberté de consommation, nous l'avons perdu en fraîcheur.
RépondreSupprimerIl y a une date de péremption ?
SupprimerEt si le mystère du sexe était ailleurs ? N'est-ce pas au pied du mur et non devant l'image du mur que l'on voit le maçon ?
RépondreSupprimerEt le rêve, et l'attente ?
SupprimerOui, mais ce n'est plus de mise dans une société où l'on doit consommer. Nicolas Peyrac l'a chanté :
SupprimerQuand vous flirtiez en ce temps-là,
Vous vous touchiez du bout des doigts.
La pilule n'existait pas.
Fallait pas jouer à ces jeux-là.
Vous vous disiez "je t'aime",
Parfois même
Vous faisiez l'amour.
Aujourd'hui, deux salades,
Trois tirades
Et c'est l'affaire qui court.
Avant, il y avait le déniaisement artisanal, si je puis dire. Aujourd'hui, c'est le déniaisement quasi industriel autant que virtuel. Tout se perd !
RépondreSupprimerJe crains que ces jeunes gens ne restent niais, même après le déniaisement....
SupprimerJe crois surtout que ces jeunes gens ne sont pas si cons et savent faire la différence entre les élans de leurs hormones et ceux de leur cœur.
Supprimer"Le sexe sans inhibition est sans amour aussi bien que sans pudeur, car l’amour est ressenti comme une contrainte. Aimer limite vos options. Il est bien préférable de s’endurcir un peu, de manière à pouvoir partir lorsque vient le matin. Avec cette attitude, vous oubliez que si vous désirez le sexe plutôt que la conquête, vous pouvez égaler le record de Don Giovanni en étant heureusement marié. Et pour y parvenir il n’est nul besoin d’être riche ou d’être un aristocrate. En fait, il est plutôt préférable de n’être ni l’un ni l’autre. Mais Don Giovanni chantait magnifiquement pour duper ses conquêtes. Avec la libération sexuelle il n’y a plus de tromperie, plus de séduction, plus de jeu, plus de nuance, plus de galanterie, plus de romance, et Mick Jagger à la place de Mozart. Il y aura peut-être des préservatifs, si vous avez de la chance."
RépondreSupprimerHarvey Mansfield