J'apprends hier la mort, à 95 ans, de M. Raoul
Girardet, historien novateur et scrupuleux dont les travaux ont renouvelé
l'histoire des idées politiques aussi bien que du colonialisme, et que j'ai, en
des temps lointains, connu, ou plus exactement approché et côtoyé, avec la
vénération qui pouvait séparer le garçon à peine sorti de l'adolescence d'un
maître respecté.
M. Girardet était un patriote, dans le sens fort et simple qu'avait jadis ce mot, et,
après avoir choisi de militer dans les rangs de l' Action française, lorsqu'arrivèrent défaite et occupation il
s'engagea dans la Résistance, se séparant
alors du mouvement royaliste pour les raisons mêmes qui l'avaient fait
le rejoindre.
Ce combat pour la patrie, son honneur, sa dignité, sa grandeur et, surtout, pour la
fidélité aux serments jurés il le poursuivit sans hésitation en se joignant
publiquement, avec panache et courage, aux femmes et aux hommes luttant pour
cette Algérie française qu'entreprenait d'abandonner le politicien qu'avait
porté au pouvoir un coup d'Etat militaire dans le seul dessein de la conserver.
L'organe intellectuel
de ce combat fut un hebdomadaire nommé L'esprit
public, fondé par Philippe Héduy,
auteur d'un livre superbe, Au lieutenant
des Taglaïts,et rédacteur en chef de Elle
(il fut chassé), M. Girardet en était l'un des animateurs , avec Jean Brune,
Jacques Laurent, Jules Monnerot, Jacques Perret et tant d'autres écrivains et
universitaires, pour ma part, n'osant croire que je pusse y écrire, tant était
grande la distance qui me séparait de ces auteurs admirés, j'acceptais avec
reconnaissance que me fussent confiées quelques corrections d'épreuves, c'est
ainsi que je fus intégré à l'équipe, à un rang modeste, mais qui était celui de
mes capacités supposées.
Supposées car, malgré toute l'application que
je puisse apporter à ce labeur, je fus toujours un très-médiocre correcteur,
non par ignorance de la langue et de ses subtilités, mais dés que mes yeux se
portent sur une phrase, j'en saisis le sens et immédiatement mon esprit
s'empare de la phrase suivante, sans que je puisse voir coquilles ou omissions ( serais-je l'archétype du lecteur-qui-rectifie-de-lui-même ?).
C'est là, certes, un avantage inégalitaire pour lire vite et beaucoup, et une
très-franche tare pour s'acquitter de la besogne dont j'étais chargé ,
pourtant, comme je faisais ( ou croyais faire ) des efforts! Comme je me
répétais que le sort de nos départements algériens dépendait de ma capacité à
dénicher toute faute typographique ! Mais j'avais beau accuser mon involontaire
négligence de précipiter le désastre approchant, je ne m'améliorais guère.
En revanche, je répondis mieux aux espérances
de mes chefs et maîtres lorsque j'eus à accomplir une mission moins
intellectuelle, et qui relevait de la manutention.
Le Pouvoir
ne tolérait en ces jours nulle opposition et, dès que L'esprit public arrivait dans les kiosques, les employés d'une quelconque police
politique faisaient irruption dans ces modestes commerces afin de saisir au nom
du Prince tous les exemplaires de l'insolent journal.
Il fut donc
décidé que, dés qu'un nouveau numéro sortait des presses de l'imprimerie (
c'était celle, rue du Croissant, de Combat,
le merveilleux quotidien de l'irremplacé Henry Smadja, avait été celle de L'humanité de Jaurès, et peu entretenue
depuis l'assassinat de ce dernier—ah! ces planchers abandonnant toute
horizontalité , comme dans Le cabinet du Dr.
Caligari! ) donc décidé que le plus grand nombre d'exemplaires possibles
seraient chargés dans une camionnette, avec ma participation enthousiaste, puis
transportés et déchargés dans l'appartement de mes parents ( que je mettais
ainsi sans remords hors-la-loi) en l'attente d'une diffusion clandestine et
sûre.
Je ne fus
donc qu'un simple soldat, mais, lorsque je croisais dans un bureau M. Girardet,
il me serrait la main, me parlait même – il avait la courtoisie de ses
convictions.
Dans les
articles nécrologiques qui lui sont aujourd'hui consacrés, je lis qu'il eut
pour élèves, à Sciences Po ou à l'ENA, MM. Fabius et Chevènement, la belle
affaire..., il eut, au cours de sa longue carrière, des milliers d'élèves, et
beaucoup d'une autre force, et de lui, il suffit d'écrire qu'il fut non
seulement un très grand savant, mais aussi, un parfait honnête homme.
Tout comme ce fut le cas lors de la disparition d'Hélie Denoix de Saint Marc, il a fallu que je traîne sur un blog nauséabond, qui nous rappelle LHLPSDNH, pour apprendre le décès de M. Raoul Girardet. Son livre sur "La société militaire de 1815 à nos jours" reste l'un de mes plus beaux souvenirs de lecture avec "Le dimanche de Bouvines" de Georges Duby. Je ne ne me souviens d'aucun autre historien contemporain qui écrive une langue aussi pure.
RépondreSupprimer"Supposées car, malgré toute l'application que je puisse apporter à ce labeur, je fus toujours un très-médiocre correcteur, non par ignorance de la langue et de ses subtilités, mais dés que mes yeux se portent sur une phrase, j'en saisis le sens et immédiatement mon esprit s'empare de la phrase suivante, sans que je puisse voir coquilles ou omissions ( serais-je l'archétype du lecteur-qui-rectifie-de-lui-même ?)." La coquille à dés est-elle délibérée ? Auquel cas, ce serait un morceau de bravoure !
RépondreSupprimerQuant à l'Algérie, nous en portons tous les stigmates... je vous renvoie à mon modeste coup de sang à l'occasion du 50ème anniversaire du "cessez-le-feu" : http://www.contrepoints.org/2012/03/19/73838-50e-anniversaire-du-cessez-le-feu-en-algerie-de-la-guerre-sans-nom-a-la-guerre-sans-fin
Il va sans dire qu'à l'épreuve de l'île déserte entre l'Etranger et Au lieutenant des Taglaïts, l'objecteur que je fus et que je demeure choisirait sans hésiter le second...
Ma confusion entre accents graves et aigus est .... idiomatique ?
RépondreSupprimerBel hommage ! J'espère que vous m'en tricoterez un de ce calibre, quand je mourrai.
RépondreSupprimerLaissez-lui du temps pour qu'il le peaufine !
SupprimerJ'ai trouvé cet article sur le blog de l'histoire.
RépondreSupprimerL’historien Raoul Girardet est décédé le 18 septembre à l’âge de 96 ans.
Né le 6 octobre 1917, agrégé d’histoire et docteur ès-lettres, Raoul Girardet a enseigné pendant plus de 30 ans à Sciences-Po Paris où il a notamment créé le cycle d’études d’histoire du XXe siècle. Son cours sur le « Mouvement des idées politiques dans la France contemporaine » et son séminaire sur la France des années 1930, assurés conjointement avec Jean Touchard et René Rémond, ont marqué des générations d’étudiants.
Raoul Girardet a publié des ouvrages de référence sur La Société militaire en France, Le nationalisme français, L’idée coloniale en France ou encore Mythes et mythologies politiques.
En 1990, dans un livre d’entretiens avec le journaliste Pierre Assouline, « Singulièrement libre », il était revenu sur son parcours personnel : la Résistance puis l’engagement en faveur de l’Algérie française, qui l’ont conduit deux fois en prison. Raoul Girardet a également enseigné à l’Ecole nationale d’administration, à l’Ecole Polytechnique et à l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr.
Il était Croix de guerre 1939-1945 et officier de la Légion d’honneur. Ses obsèques seront célébrées le 23 septembre dans l’Eure, dans l’intimité familiale. Une célébration aura lieu ultérieurement à Paris.