Désolation.
Sur une route au sol zébré d'ornières boueuses
avance d'un pas lourd d'épuisement une colonne d'humains en guenilles, des
hommes dont les plus robustes puisent dans leurs dernières forces pour tenir
encore, au bout de leur bras décharné, quelque sac en plastique contenant leurs
ultimes possessions, des femmes , dont les plus jeunes pressent contre leur
poitrine le nouveau-né aux lèvres avides de se nourrir à un sein flétri, et qui
n'est plus nourricier, des enfants sales et hâves dont les yeux scrutent la terre
dans l'espoir d'y découvrir le ver ou l'insecte qui leur serait un festin, ils
avancent, ces humains, parmi les carcasses d'automobiles abandonnées capot
ouvert et vitres brisées, sans un regard pour le paysage constellé de ruines
d'usines, de décombres de pavillons naguère coquets et d'hypermarchés depuis
longtemps pillés, parfois tombe l'un
d'eux dont le corps, déjà, n'était plus qu'ossements, et personne ne s'arrête
pour le relever, ils n'ont nul remords d'abandonner le mourant aux loups
revenus, ils ne connaissent plus que la faim, et ne respirent plus que par
l'espérance de trouver quelque ferme dont le maître aura la charité de leur
jeter du gras de rillette, de la couenne de porc, ou de vertes et bio
épluchures.
C'est la crise.
Narrerais-je
aussi l'abomination des plaines grecques,
où des hellènes dépenaillés guettent avidement le passage de touristes égarés
afin de les dévorer en brochette? Ou la catastrophe chypriote, ce malheur qui vit tant d'épargnants spoliés de leurs
économies imprudemment confiées à des banques dont des politiciens vidérent à
leur profit les coffres en ricanant et
qui, privés de toutes ressources, rampent désormais dans des égoûts putrides
pour y ramasser arêtes et têtes de poissons? Et cette débâcle espagnole qui poussa de fiers Ibères à
manger tout vifs leurs valeureux taureaux de combat et vendre sur e-bay ce
dernier bien négligé des huissiers – leurs castagnettes?
Narrerais-je
encore cette austérité qui, dans un
vieux pays gaulois, entraîna la réduction de moitié des salaires des
fonctionnaires, abolit la distribution de subsides à des hordes de mendigots
venus de contrées exotiques ou
d'indigénes plus quémandeurs que travailleurs, fit cesser le versement des
subventions dont se gavent artistes d'Etat et associatifs hargneux ? Ne faudrait-il aussi déplorer la disparition
de ces indemnités de licenciement qui permettaient à un futur chômeur ambitieux
d'acquérir un petit commerce, ou la fin de tous les conseils supérieurs de ceci , hautes
autorités de cela et grandes
commissions de rien qui proliféraient pour le plus grand bien de leurs
seuls membres ?
Mais ai-je
vraiment vu ces horreurs ?
Ô pleureuses
, ô politiciens! Vos lamentations n'étaient-elles qu'hallucinations
intéressées, vos gémissements que ruses pour justifier vos interventions
malfaisantes, vos apocalypses fantasmées qu'alibi pour vous disculper des
réelles catastrophes que vous vous employez à faire venir ?
Heureuse crise ... – mais dans le confort d'un
bel aujourd'hui, est-ce demain que j'ai
conté ?
Quel sens du crescendo ! Partant de scènes au fond aimables par leur familiarité, vous faites culminer l'horreur dans votre antépénultième paragraphe ou l''évocation de "la fin de tous les conseils supérieurs de ceci , hautes autorités de cela et grandes commissions de rien" m'a profondément bouleversé.
RépondreSupprimerEt j'ai omis le pire : quand il ne restera que des tomates pour se sustenter...
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