Un dimanche
à la campagne.
Confortablement installée en tenue légère dans son boudoir aux murs
ornés de gravures et dessins de Fragonard, Félicien Rops et Tom of Finland
(entre autres), madame mon épouse se préparait à regarder sur l'écran de son
ordinateur, via internet, l'un de ces
spectacles pornographiques qui font ses délices tandis que, penché sur ma table
de travail dans mon bureau aux murs ornés des portraits de Mgr le duc de
Bordeaux, Aristote et Bossuet (entre autres), j'annotais le Traité des premiers principes de Damascius.
Un cri se
fit entendre, qui était un appel à l'aide.
Je me
précipitais, m'enquis du drame..., l'ordinateur de madame mon épouse était
privé, démuni, amputé de toute connection,
et l'intervention d'un mâle, supposé généralement meilleur mécanicien,
philosophe (etc.) et en l'occurrence décrypteur de mystères informatiques,
aussi nécessaire qu'urgente.
Les
derniers cris de la technologie passant outre notre province, nous sommes connectés au dieu internet grâce à une
installation par satellite, qui répand ses bienfaits par les cables du courant
électrique, et refuse de fonctionner lorsqu'il pleut beaucoup ( ce qui est
fréquent en notre belle province), que souffle le vent du nord, ou pour quelque caprice soudain et
imprévisible.
Dans ce
dernier cas, il suffit de débrancher des bidules, compter une douzaine de
moutons, rebrancher, et la connection clignote joyeusement en signe d'amicale
présence.
Le mâle
s'affaira donc selon des procédures familières, puis, ayant l'esprit
scientifique, s'aperçut que son propre ordinateur étant, lui, connecté, il ne pouvait s'agir d'une
défaillance de connexion du systéme, et que le souci était propre à l'ordinateur
de sa primesautière épouse.
Des menus
furent ouverts, des aides sollicitées ( mais il faut être connecté pour qu' elles répondent à une question sur une absence de
connection... ), des clic confirmèrent des ok,
des demandes de mots de passe de sécurité
satisfaites, et des injonctions de fournir des clés ignorées, rien n'y fit.
Après une
heure, et même plus, de vains efforts, le mâle renonça, et s'en retourna, la
queue basse et sous les ricanements de son épouse, remâcher la frustration née
de son échec en abandonnant Damascius pour le plus joyeux Pervigilium veneris, dont l'auteur nous est inconnu.
La mauvaise
humeur nuit à la justesse du raisonnement, et la pensée que provoqua , comme un
réflexe pavlovien, cette mésaventure, pensée qui était on perd beaucoup de temps avec internet, demandait , outre le
mépris que devrait entraîner sa banalité, un meilleur examen.
Cette
pensée, formulée à la suite d'une tentative de réparation sans effet, ce qui
est effectivement du temps perdu (quoique nécessaire...), conclut, à partir
d'un épiphénomène (une panne), à un jugement global, existentiel, sur une
technologie.
En soi,
aucune technologie ne fait ni perdre ni gagner de temps. Elle permet de
réaliser plus vite certaines actions (on se déplace plus vite en automobile
qu'à pied), ce qui est incontestablement un gain de temps, mais comme très
souvent nous n'effectuons ces actions que parce qu'elles sont devenues rapides,
que signifie, pour notre vie, ce temps gagné ?
Ou: sur
quoi exactement, sur quelle portion de cette quantité finie de temps qui nous
est attribuée et est bornée par notre mort, s'exerce ( s'exercerait) ce gain?
Imaginons
qu'internet (ou la locomotive, ou le téléphone) n'existe pas. Le temps que je
passe (car si réduite soit la durée, c'est quand même du temps qui s'écoule et
se consomme...) sur internet, ou à voyager en train, etc., ce temps, je
l'aurais utilisé à autre chose (
l'expérience du passé montre que les hommes consommaient leur temps avant
l'apparition de diverses technologies...). Certes, je pourrais, en théorie,
faire moins de choses différentes, mais ce n'est pas certain, car il semble que les humains
aient tendance à remplacer une occupation dominante par une autre occupation
dominante, plutôt que diversifier leurs activités.
Je m'engage
ici en un propos qui demanderait un développement circonstancié, argumenté,
donc plus long que la dimension que j'autorise à mes billets ( d'où mon choix
habituel de textes ironiques ou facétieux plutôt que sérieux), je dirai seulement que, résolument prométhéen, j'ai la
plus grande sympathie a priori ( et même souvent admiration) pour les
inventions techniques, que je pense
que vouloir leur accoler un signe positif ou négatif ( dire : bien ou mal,
utile-inutile etc.) n'a tout simplement pas de sens, ces inventions sont, parfois nous pouvons les
maîtriser, d'autres fois nous en sommes victimes -- bilan ?
Chacun (et
chacune) répondra selon son expérience, sa perception de sa vie, ses désirs
déçus ou comblés, ses préjugés et ses connaissances -- comme il le sentira, et non comme il voudrait
prétendre le savoir.
En post
scriptum, une curiosité psychologique : mon intention était ici d'examiner la
compatibilité , ou l'incompatibilité, d'une société hiérarchisée, telle notre
ancienne monarchie, avec le chemin de fer, je me suis égaré.
Je note que tandis que Mme votre épouse s'adonne à d'austère travaux, vous vous vautrez dans le futile...
RépondreSupprimerMaintenant que vous nous avez mis l'eau à la bouche, on attend avec impatience votre étude sur la compatibilité/incompatibilité monarchie/chemin de fer.
Patience et longueur de temps...
SupprimerVous me connaissez Michel, vos histoires philosophiques me laissent aussi froid que le cul de la serveuse quand il est est mal emballé mais vos considérations techniques me passionnent.
RépondreSupprimerJ'ai le même problème chez ma mère. Parfois, elle ne reçoit plus internet alors que je l'ai si mon ipad et mon iPhone. La seule solution était de brancher le bordel et de prier ce qui dans une famille communiste du Centre Bretagne est mal venu. Ce week-end, il y avait ma sœur avec son portable et son smartphone et sa fille avec sa tablette (nous sommes très branchés dans la famille). Les appareils se déconnectaient un par un un et nous nous engueulions joyeusement. Un vrai bonheur, ces week-ends progressistes en famille.
Les trois gonzesses ont fini par se liguer contre montre moi. C'est lamentable d'autant que je suis le seul compétent, doublement, même : homme et informaticien.
Merci, Nicolas, pour ces confidences familiales et sexistes.
SupprimerJe note quant à moi que si l'ordinateur de votre épouse recherchait une connection, il est naturel qu'elle ne la trouve point. Le votre, plus raisonnable, aurait pu lui indiquer qu'une recherche de connexion eut été plus indiquée.
RépondreSupprimerLa novlangue internet serait-elle de l'américain simplifié?
Supprimer