Quand le
spectacle du monde ne nous offre qu'intrigues dérisoires, machinations
misérables, lamentations hypocrites et glapissements imbéciles, quand rien de
ce qui se joue ne s'élève au-dessus des triviales éructations d'un Ubu,
marionnette forgée par les grasses plaisanteries de lycéens ricaneurs, quand
tous discours et écrits ne charrient que les plus vulgaires truismes mêlés aux
plus insolents mensonges, à seulement effleurer du regard ce sinistre bourbier,
l'esprit s'épuise à y chercher, en vain, une ombre d'intelligence, la
conscience s'amollit et le plus lucide observateur sent le risque d'être gagné
par la contagion de ces miasmes putrides – s'il ne veut se perdre, il est
temps de prendre quelque hauteur.
Dans une
lettre adressée à la mi-juin 1901 à Anna de Noailles (née Brancovan, et
princesse roumaine) qui venait de publier Le
visage émerveillé, Marcel Proust écrit:
"Car si
on cherche ce qui fait la beauté absolue de certaines choses, des Fables de La Fontaine, des comédies de
Molière, on voit que ce n'est pas la profondeur ou telle ou telle autre vertu
qui semble éminente. Non, c'est une espèce de fondu, d'unité transparente où
toutes les choses, perdant leur premier aspect de choses, sont venues se ranger les unes à côté des
autres dans une espèce d'ordre, pénétrées de la même lumière, vues les unes
dans les autres, sans un seul mot qui reste au dehors, qui soit réfractaire à
cette assimilation."
Puis Proust
ajoute, entre parenthéses : " je sens que je suis moi-même
incompréhensible à force de mal dire, mais cette idée me vient pour la première
fois et je ne sais comment l'exprimer."
Proust se
plaît, dans sa correspondance, à se montrer exagérément humble , et
nous ne tiendrons ici pas compte de cet inutile scrupule, car ces lignes, fort compréhensibles, expriment avec génie
(et justesse ) ce qu'est l'œuvre d'art.
L'extrait de lettre que vous citez est admirable. Je ne connaissais pas cette correspondance et je vous remercie.
RépondreSupprimerLa seule édition, aussi complète que possible..., de la correspondance de Proust est celle de Philip Kolb (21 volumes) que l'éditeur (Plon) laisse honteusement épuisée, et est devenue difficile à trouver.
SupprimerCet extrait est merveilleux, et ce que dit ici Proust de La Fontaine ou de Molière éclaire aussi magnifiquement son œuvre, cette cathédrale du temps, comme dit J-Y Tadié.
SupprimerLes miasques sont ils un néologisme forgé à partir de masque et miasme ?
RépondreSupprimerSans doute s'agit il plutôt d'un lapsus calami issu du champ théâtral de nos marionnettes politiques !
...une bête faute de frappe, que je vous remercie de m'avoir signalé, et corrige.
Supprimer