Fondateur
et directeur des Nouvelles littéraires, Maurice
Martin du Gard fréquenta entre les deux guerres, plus ou moins intimement, tous
les écrivains d'un temps où s'épanouissaient de multiples talents, ainsi que
des hommes politiques qui pouvaient être néfastes ou nuisibles, mais étaient
des hommes de vraie culture (ce temps est révolu). Pour garder le souvenir des
propos qui lui étaient tenus, Maurice Martin du Gard s'empressait, dès qu'il se
retrouvait seul, de noter ses conversations, avec fidélité. L'exercice demande
évidemment une excellente mémoire, mais surtout une rare capacité de retenir et
transcrire, parmi les phrases prononcées, celles qui peignent, caractérisent
l'interlocuteur, permettront de le faire revivre tel qu'il est, et par ses
propres mots.
Maurice
Martin du Gard possédait au plus haut point ces qualités, elles lui permirent
d'écrire Les Mémorables, ouvrage où
l'on voit et entend Valéry, Barrès, Mauriac, Morand, Montherlant (et cent
autres...) comme s'ils étaient présents, ouvrage qui est un chef d'œuvre.
Hélas, tout
le monde, et surtout le tout le monde qui veut garder trace de conversations,
n'a pas la même intelligence des hommes, qu'à cela ne tienne, la technologie
peut désormais suppléer aux limites de l'intellect.
Entre donc
en scène un petit appareil nommé dictaphone
qu'il suffit de glisser dans sa poche puis, lorsqu'apparaissent des hommes et
des femmes dont on devine, en les voyant ouvrir la bouche, qu'ils vont parler , il suffit d'appuyer sur un bouton
et l'engin enregistrera, au besoin
durant des heures,tous les mots
échangés (ainsi que les bruits de fond).
L'utilisation d'une telle machine est à l'origine d'une tempête
politico-médiatique ( breaking news, titres de Une, émissions spéciales,
discours à la Chambre, interpellations-dénonciations-indignations, etc.) qui a
fait disparaître de l'actualité chômeurs-chômeuses, russophiles et russophobes,
échéances électorales, copulations présidentielles et même la délicieuse Leonarda.
Pour qui
préfère relire Thomas d'Aquin plutôt que tendre l'oreille au bruit du monde,
rappel des faits.
Un ancien Président, homme brouillon et
indécis sur les actions à entreprendre quoiqu'en permanence fort agité, avait
un conseiller chargè de lui révéler
en quel sens soufflait le vent des sondages et de lui donner quelques conseils à propos de menues péripéties
politiques. Ainsi, ce conseiller fréquentait régulièrement ce M. Président, ainsi
que son entourage et une nouvelle épouse succédant à une épouse répudiée,
rencontres dont il eût été dommage de ne pas conserver la teneur pour
l'Histoire, la suite se devine : le conseiller se rendait aux réunions en
prenant soin d'avoir sur lui, dissimulé dans son vêtement, un dictaphone (avec une pile neuve) ,
appuyait sur le bouton on..., et
n'enclenchait off que lorsqu'il
était, enfin, seul.
Au fil des
mois, les enregistrements s'accumulèrent dans la chambrette du conseiller,
jusqu'au jour où un revers électoral ayant envoyé à la retraite (provisoire?)
ce Président, notre homme cessa de conseiller, et d'enregistrer.
Les mois
passèrent.
Puis
soudain, c'était il y a deux jours, des extraits de ces enregistrements furent publiés par un
hebdomadaire-satirique-du-mercredi, et un bidule en ligne qui aimerait être un journal.
Comment
ces enregistrements arrivèrent-ils à ces publications ? De mauvaises langues
rappellent que, sous un prétexte futile, des argousins de la police politique
de l'actuel Président avaient fait irruption au domicile de l'ex-conseiller
pour perquisitionner, c'est-à-dire fouiller dans ses affaires et, peut-être,
peut-être..., s'emparer de..., de quoi ?
Cette
question n'est pas posée par les actuels commentateurs qui crient au scandale,
pas plus qu'ils ne réclament que les journalistes,
en l'occurrence peu soucieux d'informer, ne disent à leurs lecteurs de qui ils ont reçu les fameux
enregistrements (à qui soulèverait l'exception du secret des sources, répondons que les enregistrements ont été
volés, et que les journalistes sont des receleurs).
J'ai lu les enregistrements publiés, ce sont
des propos futiles ( small talk
diraient des Américains), dont l'intérêt est aussi nul que leurs auteurs, et
pourtant, quel scandale, quelle affaire d'Etat!
Il ne
s'agît pourtant que d'une historiette privée
: si le conseiller a enregistré à l'insu de ses interlocuteurs, il n'a commis
qu'une indiscrétion (qui aurait
d'ailleurs dû rester ignorée), et n'est qu'un goujat, si le Président et tutti
quanti en ont été avertis, il n'y a aucune entorse au plus laxiste
savoir-vivre.
Et
pourtant, les députés de la majorité (socialiste) réclament la création d'une commission d'enquête parlementaire sur
la prétendue affaire – plus tard, les
historiens (s'il en existe encore) disserteront sur l'étonnante propension des élites de l'an 2014 à croire qu'existent
les riens transformés en montagnes par leurs propres discours, tout en ignorant
ce qui réellement importe au peuple (souverain – hi hi !).
J'ai la très forte impression que le peuple souverain se contrefiche absolument de cette non-affaire grotesque.
RépondreSupprimerMais je m'associe à vous pour recommander chaudement le livre de M. Martin du Gard.
SupprimerLe peuple souverain râle, et se contrefiche de tout...
SupprimerBonjour Monsieur Desgranges
RépondreSupprimerles socialistes poussent des cris de pucelles effarouchées devant cette histoire d'enregistrement. Pourtant le socialiste "radical-cassoulet" Vincent Auriol, une fois devenu président, faisait de même : (comme on peut le lire dans son "Journal du septennat")
"Débonnaire, l'ancien avocat de la Haute-Garonne? Il rapporte tout ce qu'il entend et, pour ne pas en perdre une miette, il enregistre ses entretiens à l'insu de ses interlocuteurs sur un magnétophone dissimulé dans un tiroir de son bureau. Curieuse moralité, non? "
http://www.lexpress.fr/culture/livre/journal-du-septennat_808900.html
Mais, me direz-vous, les socialistes n'ont plus guère le sens de l'histoire, sauf pour la tordre dans le sens qui leur convient, et ont complètement oublié Vincent Auriol.
Merci, Madame, pour cet utile rappel historique.
SupprimerSans oublier un certain Richard Nixon.
RépondreSupprimer...qui fut maladroit...
SupprimerIl me semble que le précédent locataire, fort agité comme vous le soulignez obligeamment, s' est plutôt fait répudier que de répudier lui-même l'épouse volage (la lapidation pourtant méritée n'étant plus dans les moeurs modernes ). A moins qu' un soupçon nécrosé de la loi salique affecte encore la monarchie républicaine, interdisant de facto de transcrire les faits en leur cruelle et triste réalité ?
RépondreSupprimerVous avez, docte censeur, factuellement raison, j'ai pensé rappeler cette réalité, mais cela eût compliqué ma phrase, et je vous entendais déjà m'en reprocher la longueur.
SupprimerLimitez les appositions, augmentez la concision et vis phrases auront une longueur appropriée. :)
Supprimertout à fait d'accord avec ce post
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