A défaut de trêve de Dieu, c'est à la trêve des confiseurs que l'actualité
doit d'avoir pu se mettre en vacance, et seul nous parvient l'écho ténu d'une
molle routine – dans ce noir pays où le Président expédia ses troupes
humanitaires afin de faire cesser les
massacres, ces mêmes massacres redoublent de violence, nous apprennent
les gazettes, tandis qu'une nouvelle augmentation
du nombre des chômeurs doit se comprendre par baisse de hausse, inversant ainsi, et fort logiquement, la fameuse courbe dont les pics et les creux
hantent les nuits présidentielles.
Le mérite de ces insignifiances est de ne
pas nous détourner de l'essentiel, et de nous permettre, tel l' indiscret
diable boîteux de Lesage , de tendre l'oreille aux propos qu'échangent Albertine
et le Narrateur, au premier tiers de La
prisonnière.
Tous deux, côte-à-côte et liés par un amour dont la perversité ambiguë
infiniment disséquée fait les délices de M. Marcel Proust, du Narrateur, et
peut-être moins de la jeune femme, écoutent, d'une chambre qui me semble plus
située dans les communs de l'hôtel de Guermantes que dans son corps ducal, les cris de Paris que poussent marchands et
artisans ambulants. Entre le rémouleur et le vitrier, d'autres humbles
commerçants proposent choux ou carottes, et Albertine s'écrie:
"--Et
dire qu'il faut attendre encore deux mois pour que nous entendions:
"Haricots verts et tendres haricots, v'la l'haricot vert."
Cette
phrase peut-elle être comprise par une Albertine d'aujourd'hui qui, se
promenant smartphone à l'oreille dans les allées d'un très-concentrationnaire
hypermarché, voit dans les rayons abondance de fruits et légumes en un temps que
ceux-ci, en nos contrées, ne poussent pas? Cette jeune personne peut-elle
seulement imaginer que jadis il y avait une saison pour les haricots verts, et
que tant que n'était pas venue cette saison, il fallait, pour en déguster, attendre? Et deviner qu'il y eut des
siècles où l'on ne trouvait pas tout, partout, chaque jour de l'année, mais où le
menu de nos repas dépendait du rythme et des révolutions de notre terre?
Certes, il
y avait là une inégalité, certains
mois étant plus favorisés que d'autres pour la récolte des fruits du sol, mais
le progrès des transports et des techniques de conservation la rabota
heureusement, les fraises des bois se mangent à Noël entre mangues, kiwis et
autres curiosités devenues plus communes que le chou ou le petit pois, et les
champignons d'automne font les délices des agapes printanières.
Ainsi la
satisfaction de nos papilles est-elle devenue immédiate, elle ne s'accompagne
plus du charme d'un désir qu'émoustillait l'impossibilité de le contenter à
l'instant même qu'on l'éprouvait, et qui croissait dans l'attente , je crains
que ne s'y soit aussi perdu un délicat plaisir.
La satisfaction immédiate entraîne la perte du désir, moteur de l'homme.
RépondreSupprimerJe me souviens fort bien que, dans les années soixante de mon enfance, les population vivant dans le quart nord-est de la France, ce qui était mon cas, ne pouvait trouver sur les étals du poisson de mer que les vendredis. simplement parce que, les autres jours, il ne parvenait pas jusqu'à eux.
RépondreSupprimerEt aussi parce que c'était le jour maigre, mécréant! , et c'est pour cela qu'il arrivait le vendredi.
SupprimerMais je sais bien ! Il n'empêche qu'à partir des années soixante-dix, le vendredi était toujours maigre, mais on s'est mis à avoir du poisson tous les jours…
SupprimerDans le même ordre d'idée, nos génies de l'Ifremer ont mis au point une huître modifiée appelée huître des 4 saisons ou huître triploïde. Celle-ci, devenue stérile, ne fabrique plus de laitance, grossi plus vite et est consommable toute l'année.
RépondreSupprimerPour en savoir plus.
Et les bigorneaux transgenre?
SupprimerÇa viendra ça viendra...
SupprimerQue ne ferait-on pas pour contenter la languissante Albertine.
Dites : c'est pas déjà un peu transgenre le bigorneau ? Comme l'escargot ?
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