Le Président frémissait de cette curiosité
impatiente que fait toujours naître dans les âmes d'élite l'attente d'un
plaisir aussi rare que délicat, et nouveau.
Tout était
né d'un touitt de l'une de ses suivantes, sous-ministresse de la Culture-d'Etat,
qui annonçait la promotion en tête de
liste du Parti pour un prochain tirage au sort régional et européen d'un... ouvrier!
-- un working class hero !, avait
même précisé la paritaire créature, montrant ainsi sa maîtrise de la langue
indigène (source : Libération, gazette subventionnée).
Un ouvrier , un vrai, au Parti du Président!, là où
jusqu'alors on ne croisait, pour le petit fretin, que du bas fonctionnaires
(instituteurs, agents du fisc, gardiens de musée, etc. ) et, pour le gratin,
que des hauts fonctionnaires (énarques de cabinets, dirigeants de banque,
affairistes adipeux, etc.), l'extraordinaire nouvelle chassait des téléviseurs
et des smartphones les guerres coloniales, les peaux de banane du racisme ou
les derniers orgasmes des prostituées exilées, et cet ouvrier, le Président avait ordonné qu'on le
lui apportât.
Une
difficulté s'était d'abord présentée, cet ouvrier,
fallait-il que le Président le contemplât mort , ou vivant ?
Mort, cela
présentait l'avantage d'un examen serein, de pouvoir tenir un discours sans
crainte d'une parfois irritante contradiction et surtout, cela offrait la possibilité de le faire ouvrir
pour voir comment c'est fait, à l'intérieur, un travailleur, les différences
des organes, le volume du cerveau, s'il s'en trouve un, ou encore, la texture
d'un cœur généreux quoiqu'exploité .
Vivant,
permettait d'échanger, ce qui est une
valeur chère aux magazines féminins, puis d'observer comment bouge ou s'exprime
une créature d'une aussi radicale altérité (comme eût dit feu M. Levinas).
--Nous lui
laisserons le choix, avait décrété le Président, qui n'aimait pas décider.
L'ouvrier avait choisi, et était
maintenant attendu dans le palais présidentiel.
Suivant
les conseils d'un expert, M. Aymeric de La Rochetarpéienne, professeur d'anthropologie
prolétarienne à l'Université des Minguettes, un salon Napoléon III avait été
meublé d'une table de pin couverte de toile cirée rouge entourée de chaises de
plastique rouge, aux murs, des portraits de Mikhail Bakounine, Alexey Stakhanov
et Maurice Thorez , sur un guéridon avaient été jetés, en un faux désordre,
deux romans d'Emile Zola exaltant la noblesse du prolétaire, La bête humaine et L'assommoir, dont des pages étaient cornées, pour indiquer une
lecture en cours. Pour ne pas froisser son hôte par le port d'un habit
bourgeois, le Président avait revêtu une ample blouse empruntée au Mobilier
national et que serrait sur son ventre une ficelle, s'était chaussé de sabots
et coiffé d'une casquette à carreaux, élimée.
--C'est
l'ouvrier ! aboya une femme en haillons qui remplaçait l'huissier en livrée.
L'homme
entra. Rasé de frais, le cheveu impeccablement coiffé, fumant un Monte-Cristo
de chez Fidel Castro, il portait un costume fort bien coupé, et sur sa chemise
de soie bleue éclatait une cravate club de chez M. Charvet.
--Salut!,
fit le Président, qui ajouta :
--Salut.
Il était
embarrassé, car il ne savait s'il devait
tutoyer ou vouvoyer cet ouvrier dont
l'apparence le déconcertait, et il se résigna à faire l'effort de tourner ses
phrases de façon à éviter aussi bien le tu que le vous.
--C'est
gentil d'être venu, mon brave, dit-il. Mon brave veut-il s'asseoir?
Ils
prirent place, un aide de camp déguisé en pauvre apporta un plateau avec un
five o'clock tea adapté à la situation – saucisson, camembert, miche de gros
pain, litre de rouge, mais pas de verre, car, avait expliqué l'expert, ces gens boivent au goulot.
De ses augustes
doigts, le Président se saisit du camembert, qui coulait crémeusement, le
tendit à l'ouvrier.
--Je préférerais des
macarons, dit l'homme. A la pistache. De chez Ladurée. Avec du thé au jasmin.
--Je vais
appeler..., et le Président se lança:
--Et les
machines, elles tournent? Y a de l'huile où qui faut ?
--Les
machines, cela fait un bail que je n'en ai pas vu une! J'y ai été trois
semaines, mais n'étant pas assez bête pour me salir les mains comme mes
camarades de moindre intelligence, j'ai vite obtenu mon poste au C.E., puis
après, je devins délégué du syndicat. Je suis un col blanc, moi, costard
cravate, sauf pour les interviews, bien sûr.
--Ah
ah...., fit le Président qui soudain suspecta l'exactitude de l'information
reçue à l'ENA sur les classes laborieuses. Et, --il faillit dire
"vous", se reprit --, on est content d'avoir rejoint notre cher
Parti?
--Oui, pour
le compte en banque, c'est mieux que le syndicat. Etre élu, à Strasbourg, je me suis laissé dire que ça rapporte gras.
--Mais ce
n'est qu'une première étape, reprit le Président, désireux de se concilier
cette utile, et trop négligée, couche de
l'électorat. Quoi d'autre ferait plaisir?
-- J'y ai
pensé. J 'aimerais un maroquin.
--Un Marocain
?, se méprit le Président , regrettant soudain d'avoir séché jadis le cours sur
Gay attitude des sidérurgistes lorrains, part
féminine et non-dit. Et... de quel âge?
--Non, non,
Président ! Un maroquin, c'est un portefeuille, une place de ministre, si vous
voyez.
Un ouvrier ministre ? Jamais le Président
n'avait envisagé telle innovation et dans sa surprise il laissa échapper:
--Mais
oui, mais oui, bien sûr, je vais créer
..., un ministére des droits, des droits de... –il cherchait, après les
ministéres des droits des transgenres, des espèces disparues, des nourrissons,
des allogénes et nomades nécessiteux, des zhandicapés, des plantes vertes et
des poissons rouges, sa faculté d'invention se tarissait, il avait peur de
prononcer un vocable dépréciatif, opta pour la prudence, dit:
--Oui, un
ministère des Droits, tout court, mais avec une majuscule.
Et comme la
bonté entraîne la générosité, il jouta :
--Et
ensuite, après le ministère, on voudrait quoi?
--Ensuite ?
Je prendrai votre place, répondit l'ouvrier.
!!!!
RépondreSupprimerAh ah ah !!
Excellentissime !
Merci!
SupprimerVous étiez là pour enregistrer la conversation, c'est ça?
RépondreSupprimerNon, mais en tant qu'historiographe du Président, je reçois les minutes des entretiens qu'il accorde.
SupprimerEnfin, après "Une Femme d'État", voici "Un Homme d'État" ! Bel incipit !
RépondreSupprimerAu détail "Président, qui n'aimait pas décider" près, cher Jacques. Qui pourrait croire qu'existât un tel personnage parmi nos contemporains ?
SupprimerEn préparation : "Un transgenre d'Etat".
SupprimerBien vu et bien écrit!
RépondreSupprimerMerci ! Encore !
SupprimerTrès amusant !
RépondreSupprimerVous me comblez....
SupprimerExcellent!
RépondreSupprimerCela me rappelle la visite de François Hollande à Arcelor-Mittal en janvier 2012, pendant la campagne présidentielle. Le candidat socialiste donnait l'impression de visiter l'usine comme d’autres vont au zoo, un peu comme s’il allait observer des espèces en voie de disparition.
Le vase étant plein de compliments, je n' ajouterais qu'un BRAVO
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