david in winter

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Editeur. Ecrivain. Dilettante

jeudi 12 décembre 2013

Impôt et mensonge républicain



       C'est un lieu commun mille fois répété de l'Histoire républicaine que sous l'Ancien régime, les nobles ne payaient pas d'impôt.
      Transportons-nous en l'an 1695.
      Depuis huit ans, le Roi doit mener sur toutes ses frontiéres, des Pyrénées et la Flandre jusqu'à la Savoie, une guerre défensive contre les princes d'Europe réunis dans, ou autour de, la Ligue d'Augsbourg, entraînés par l'Empereur  Léopold Ier et Guillaume d'Orange, qui a usurpé le trône d'Angleterre et ne cesse de clamer qu'il "veut aller brûler Versailles." Malgré les victoires françaises et les propositions de paix de Louis XIV, le conflit se poursuit, ruineux, et il est nécessaire de créer (encore...) un nouvel impôt.
    Le 18 janvier 1695, le Roi signe l'Edit établissant la capitation générale, taxe annuelle qui, comme son nom l'indique, frappe chaque tête (caput), sans aucune exception.
   On ne sait qui en eut l'idée – ce n'est certainement pas l'intendant de Languedoc Lamoignon de Bâville, comme l'affirme sans preuve le duc de Saint-Simon, et sans doute pas plus le Contrôleur général des finances Pontchartrain qui signa l'Edit sous le Roi--, ni d'où elle vint, peut-être de l'exemple de l'Empereur qui avait créé une imposition également universelle en ses états, ou du souvenir d'une antérieure capitation qui exista briévement en 1356 ou encore de la tentative faite par les Etats de Blois en 1576, que le Tiers-Etat fit échouer.
   L'Edit s'ouvre par une longue déclaration du Roi qui, s'il n'en est lui-même l'auteur,  l'a sûrement relue et corrigée ( il y eut de nombreuses réunions du Conseil pour en discuter). Sont exposés les motifs de cette création inédite, ses avantages , dont le plus important est sa perception directe sans passer par des fermiers ou traitants qui accaparent une grosse portion des impôts qu'ils prélèvent, la promesse de la faire cesser dès que la paix sera faite ( "en foi et parole de Roi" – la promesse sera tenue) et son assiette : " payable par tous nos sujets sans aucune distinction, par feux ou par familles".
  Pour sa perception, et son montant, les sujets sont répartis en vingt-deux classes, où ils sont rangés selon leur emploi, ou leur état. Pour la première classe, l'impôt, annuel rappelons-le, est de deux mille livres, pour la dernière de vingt sols (une livre).
   Dans la première classe entrent Monseigneur [le Dauphin], les enfants de France , les Princes du sang, les ministres, et les fermiers généraux, mêlant roturiers et famille royale.
   Dans la deuxième, taxée à quinze cents livres, ducs et maréchaux côtoyent des gens de robe et de finance.
   Dans la troisième ( mille livres ) aux chevaliers du Saint-Esprit se joignent  des parlementaires et divers trésoriers, des galères ou des consignations de Paris.
   L'étude de cette liste, très détaillée, nous fait connaître l'idée que le gouvernement se faisait alors de la fortune ou des ressources de tout un chacun, idée dont je ne peux dire si elle coïncidait ou non avec la réalité.
  Car si nous voyons dans la sixiéme classe ( trois cents livres) les greffiers du Châtelet de Paris, c'est seulement dans la septième (deux cent cinquante livres) qu'apparaissent les " marquis, comtes, vicomtes et barons" en compagnie des contrôleurs des Ligues suisses et des conseillers des postes.
   Sautons à la seizième classe ( trente livres ) pour rencontrer les "professeurs en droit" avec les "marchands de blé, de vin et de bois", tandis que les professeurs du collége royal de Paris ne sont que dans la dix-septième ( vingt livres) avec les avocats des cours supérieures et les "crieurs de corps et de vins de Paris".
   Quant aux "cabaretiers donnant à manger à pot et assiette" , ils sont dans la dix-neuvième  (six livres) avec les "maires de bourgs clos" et les "gentilshommes n'ayant ni fief ni château".
   Dans la dernière classe :les "soldats, cavaiers, dragons et matelots, trompettes, timbaliers et fifres", ainsi que les simples manœuvres et journaliers.
   Seules exemptions : les sujets qui payaient moins de quarante sols de taille et les pauvres, recensés par les curés.
   En étaient également exemptés domestiques et valets, ce qui fit protester Vauban ( partisan d'un impôt universel sur le revenu) pour qui "les domestiques font l'état du Royaume le plus aisé, par rapport à leur commission."
   Comment fut accueillie cette capitation, et d'abord par la noblesse ?
  "Le 31 [janvier 1695], Lefebvre, contrôleur général de l'Argenterie de la Maison du Roi, chargé du recouvrement de la taxe de la Maison de Sa Majesté, ouvrit son bureau à Versailles, et on ne saurait s'imaginer quel fut l'empressement de tout le monde pour lui porter leur argent." ( Marquis de Sourches, Mémoires).
   Quant aux exemptés, nombreux exemples de domestiques demandant à payer et: " Les officiers suisses ont parlé au roi pour le prier de comprendre les Suisses qui sont en France dans la capitation, assurant S. M. qu'ils n'étaient pas moins affectionnés au bien de l'Etat que ses propres sujets." (Journal du marquis de Dangeau, 25 janvier 1695).
  Sur le principe de cet impôt universel, son fonctionnement, son acceptation, ses suites et les perspectives qu'il ouvrait sans détruire l'ordre de la Monarchie, il faudrait écrire un fort volume...

* Le texte intégral de l'Edit se trouve dans les annexes du tome 4 des Mémoires du marquis de Sourches,( Paris, 1885).

5 commentaires:

  1. Avez-vous lu le roman " Le Grand Coeur " de Jean-christophe Rufin qui évoque la vie de Jacques Coeur, grand argentier de Charles VII ? Passionnant.

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  2. Il me semble que la capitation, dans son principe, remonte à l' Antiquité.

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  3. Il me semble que la capitation, dans son principe, remonte à l' Antiquité.

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  4. C'est ce qu"évoque Boislile dans son commentaire de l'Edit, mais cet exemple ( un peu obscur en 1695) ne semble pas avoir été une inspiration..

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