Petit rappel
: le 12 juillet 1906, la Cour de Cassation casse l'arrêt condamnant le
capitaine Alfred Dreyfus, sans renvoi devant une Cour d'appel, ce qui est
curieux.
Le
lendemain, les députés votent une loi réintégrant le capitaine dans l'armée en
l'élevant au grade de chef d'escadron , lui octroient en prime la légion
d'honneur, et réintègrent également dans son corps, au grade de général de
brigade, le colonel Picquart, qui en avait été chassé pour avoir défendu Dreyfus.
Le 26 du
même mois, dans une lettre adressée à une amie, Mme Straus, Marcel Proust, qui
aime souffrir et s'en plaindre, met en
parallèle ses malheurs privés et des malheurs publics plus éclatants, et écrit
:
"(...)
tout ce que j'ai pu rêver de la vie me sera de plus en plus inaccessible. Mais
pour Dreyfus et Picquart, il n'en est pas ainsi. La vie a été pour eux
providentielle à la façon des contes de fées et des romans-feuilletons. C'est
que nos tristesses reposaient sur des vérités, des vérités physiologiques, des
vérités humaines et sentimentales. Pour eux, les peines reposaient sur des
erreurs. Bienheureux ceux qui sont victimes d'erreurs judiciaires ou autres !
Ce sont les seuls humains pour qui il y ait des revanches et des
réparations." (Proust, Correspondance,
ed. Kolb, tome VI).
On
pourrait, en chipotant, estimer qu'être enfermé au bagne de l'Ile du Diable
peut être ressenti par le prisonnier comme une vérité, et même une vérité physiologique, et que si la
condamnation est une erreur, le châtiment est, lui, une réalité, mais ce serait
là manifester un mauvais esprit dont je me garde.
Regardons
plutôt le destin de Calas et du chevalier de La Barre , qui se réjouissent
d'une gloire inespérée acquise pour avoir subi, à tort, le supplice de la roue.
Certes, ne
pas être invité à une soirée de M. Robert de Montesquiou est un malheur
d'autant plus cruel qu'il ne sera suivi d'aucune réparation inscrite dans les
manuels d'Histoire et sur les socles des statues, et si ce qu'écrit Marcel
Proust est logiquement et psychologiquement juste, et même finement vu, c'est néanmoins faux , car de tout malheur , et surtout le plus intime, le plus
ignoré d'autrui, il existe une réparation, qui se nomme oubli.
Oubli dont
Marcel Proust a longuement exprimé (et exploré) les mérites et bienfaisants
effets dans maintes pages admirables de A
la recherche du temps perdu.
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