"Le
mensonge et la crédulité forment l'Opinion", a écrit Paul Valéry; toute
formule, et qui se donne des airs de maxime, nous séduit par sa concision que
l'on imagine exprimer la pure essence d'un long et studieux raisonnement, aussi
à première lecture ce qu'elle énonce nous paraît-il d'une grande justesse, et
déchirant le voile de trompeuses apparences.
Mais prenons
le soin de la regarder de plus près, d'en soupeser les termes et de jouer à les
changer par leur contraire, pour écrire, par exemple : "La vérité et
l'incrédulité forment l'Opinion", ne pouvons-nous observer que la négation
d'une vérité produit le même effet d'erreur que l'adhésion à un mensonge ? Et
conclure que ce qui nous est offert comme un principe universel n'est que partielle approximation ?
Cette
Opinion elle-même , que Paul Valéry a couronnée d'une majuscule impliquant
qu'elle est opinion publique, et dont
il est convenu de déplorer la dictature,
quelle est-elle ?
Elle
s'exprime aujourd'hui par ces sondages
divers dont sont friands les medias, et tout particulièrement par ceux qui
demandent à des messieurs et dames nommés échantillon
représentatif s'ils ont, de tel ou
tel politicien, une opinion favorable
ou défavorable.
Modeste et fort marginal réactionnaire, non
seulement je n'appartiens pas au moindre échantillon représentatif, mais je me
refuse, en ce domaine, à avoir la plus petite opinion, ayant la très ferme
conviction que tout politicien est un être néfaste et malfaisant, et peu me
chaut sa personne, dont je n'ai nulle
connaissance. De plus, l'opinion est chose légère, qui se fixe ou s'envole au
grè des humeurs, réservons-la aux menus divertissements, pour les choses plus
graves, je prétends posséder, je le répète, des convictions, à moins que je n'avoue
une ignorance, qui n'est pas un déshonneur.
Mais M. et Mme échantillon représentatif ont,
eux, une opinion sur les individus qui les gouvernent, opinion nées de bribes
de phrases entendues à la télé,
d'annonces d'actions commentées de ci de là sur des plateaux télé, et du physique plus ou moins avenant (et vu à la télé) de l'objet du sondage, il peut s'y ajouter des commentaires,
louangeurs ou hostiles, sur ce même objet qui, parfois, seront lus dans un journal.
Cette masse d'informations ne forme pas une
connaissance, mais fournit une impression
qui créera une émotion , creuset d'une sympathie ou d'une anthipatie, et face
au sondeur M. Sondé et Mme Sondé cocheront un favorable ou défavorable dans
le choix duquel la raison n'a nulle part.
Le résultat
de ces sondages concourt à former l'Opinion, celle-ci se nourrit et s'accroît
de sa propre existence, le citoyen moutonnier se laissera entraîner par la
masse dominante des favorables ou défavorables, tandis que celui qui se plaît à
ne pas se mêler au troupeau se rangera dans le camp contraire, je ne sais si
cela conduit à un équilibre, ou accentue les oppositions.
Ce qui
importe est que cette Opinion existe, et qu'elle a pour socle, non la réalité,
mais la perception, toute nerveuse, de cette réalité, le vrai et le faux, le
bien ou mal, n'ont pour elle nulle pertinence, elle est caprice, ou colère, ou
amour, et elle gouverne, en capitaine ivre de navire démâté.
Elle décide
aussi des élections , c'est
très-comique.
Gustave Le Bon n'écrivait pas autre chose, avec une prémonition étonnante, dans sa Psychologie des Foules en 1895.
RépondreSupprimerBelle démonstration mais retournable également :
RépondreSupprimerSi M. Sondé et Mme ont une opinion, c'est parce que ceux qui les gouvernent en profèrent parfois aussi des opinions. Et qui leur sont désagréables aux oreilles.
Me semble-t-il. M. et Mme Sondé ne sont pas que des veaux.
Je n'ai point écrit que les sondés sont des bovidés....
SupprimerPlutôt des ovins que l'on convie à l'isoloir, et ce d'autant plus aisément qu'on les a assurés que leurs votes blancs seraient comptabilisés à part des votes nuls et de l'abstention. Pour autant, la valetaille qui encombre les rédactions s'est bien gardée de leur expliquer que leurs votes ne seraient pas comptabilisés avec les suffrages exprimés. Autrement dit, « Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi ! »
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