--Vous vous réfugiez dans le passé !, lance
avec mépris M. Dupont, homme moderne et
fier de l'être, à M. Durand, qui lui avait confié qu'il ne connaissait de
bonheur qu'à la lecture et relecture du Parallèle
des trois premiers rois Bourbons de M. le duc de Saint-Simon.
Pour M.
Dupont, le présent n'est que délices et
merveilles, grand bain de justice agissante et de correction de rétrogrades
conduites, et si parfois s'y glissent quelques imperfections, leur découverte
est occasion de projeter un avenir encore plus rose, que construiront des lois nouvelles,
matrices d'un citoyen idéal.
M. Durand
ne voit dans le présent que contraintes, erreurs, négation de toute raison et
tyrannie de la masse, ce qui est aujourd'hui est gros d'un avenir toujours pire,
que modéleront des lois édictées pour asservir et broyer.
"L'optimiste et le pessimiste, ces deux imbéciles", a écrit G.
K. Chesterton, mais si M. Dupont et Durand sont (ou pourraient être) des
imbéciles , ce n'est (ne serait) pas parce que l'un se réjouit de l'avenir dont
l'autre se désole, mais pour leur perception du présent, pour n'y voir que ce
qui convient à leurs goûts, désirs et idées, ou ce qui contrarie ces mêmes
goûts, désirs, idées.
Le présent
est plus vaste mais, hélas, ne retient notre attention que ce qui, conformément
à notre tempérament, ou caractère, va dans
notre sens – pour M. Dupont, ce qui conforte son contentement, pour M.
Durand, ce qui nourrit son hostilité.
Et parfois
je me demande, moi qui de la société actuelle rejette tous les aspects, toutes
les institutions, tous les événements, et à peu près tous les hommes, si dans
cette société il ne se trouve des éléments qui, ma foi, font mon bonheur (même
si je les dois essentiellement à ma propre action, pourtant bien contrariée par
cette même société), et sans doute en est-il ainsi puisque je me sens heureux,
quant à l'avenir, libre à chacun de
le rêver, sans vouloir chercher à se le représenter comme probable, mais
seulement plaisant.
J'ai
commencé de lire Les Mémorables de
Maurice Martin du Gard, cette lecture, qui m'immerge dans le refuge d'un passé
où dominaient l'intelligence, le goût et le talent, illumine mon présent, et je
sais ce que sera mon avenir : clore ce billet, et retourner à ma joie de lire.
Carpe diem.
Il me semble que lier la possibilité du bonheur individuel à un état présent (ou plus souvent futur) de la société est une idée socialiste...
RépondreSupprimerBon dimanche à vous !
La même journée, mais partagée assez équitablement entre Jünger et Morand, n'est pas lmoins agréable de mon point de vue…
RépondreSupprimerEn ce qui me concerne, je m accroche à La Grande Séparation en rêvant d'être à demain lorsque normalement je l aurai fini.
RépondreSupprimer