C 'est
un temps depuis longtemps enfui, mais un temps que j'ai vécu, et un temps où je
manifestais
Et étais arrêté par les sbires du pouvoir.
La
première fois, ce fut lorsque vint à Paris, en hôte officiel, le maître du
Kremlin et bourreau de la Hongrie asservie, le sieur Kroutchev; sur le passage
de son cortège, je criai avec une dizaine de camarades : " Budapest !
" et " Vive la sainte Russie ! " , des mains viriles
s'emparèrent de nous, nous fûmes conduits au poste, y demeurèrent une poignée
d'heures, et ce fut bon enfant.
Puis
les temps devinrent plus violents, et d'une violence réelle -- chaque nuit alors, des bombes explosaient, des
meurtres étaient commis, le chef de l'Etat était menacé d'un assassinat qui eût
été pour lui une glorieuse fin de chapitre, mais aussi d'être renversé par les
centurions qui l'avaient remis au pouvoir, ce qui eût été une humiliation.
Nous
manifestions – enfants ! -- pour l'honneur, la justice, la fidélitè à la parole
donnée, et nous visitions, contraints, divers commissariats.
Un
jour d'hiver, le mot d'ordre fut donné de se retrouver sur les Champs-Elysées
en fin d'après-midi pour une démonstration d'ampleur; avec mon ami Patrice de
T*** , nous décidâmes d 'aller auparavant voir un film à la séance de 15 heures
mais à peine nous fûmes-nous approchés de la salle que, suspects pour être
jeunes et bien habillés, nous fûmes embarqués manu militari pour être conduits
au centre Beaujon, et parqués dans la vaste cour de ce lieu de police. D'autres
suspects arrivèrent , à la nuit tombée nous étions deux ou trois milliers
raflés avec perspicacité et discernement, touristes étrangers, provinciaux en
visite, ménagères à cabas, un lot de clochards et deux ou trois centaines de
camarades. Nous fûmes relâchés à l'aube, tardive en cette saison.
Et
jamais en ce temps-là je ne vis que fût menotté un interpellé , ni que fût placé quiconque en garde-à-vue, humiliation alors réservée à de rares
criminels notoires.
Et
jamais en ce temps-là personne ne fut jeté en prison pour avoir refusé de
donner un peu de sang ou un bout de peau à Big Brother.
Puis
vinrent plusieurs décennies de socialisme sans entraves, et je vois aujourd'hui
des images – images d'une femme arrêtée et menottée pour être sortie dans la
rue voilée en dépit d'une loi scélérate, images de femmes encore, arrêtées et
menottées pour avoir montré à un politicien falot leur poitrine dénudée, images
de jeunes hommes arrêtés et menottés pour avoir porté un maillot subversif,
femmes et hommes dont l'image disparaît quand ils tombent dans la nuit de la
garde-à-vue.
Et la masse du peuple souverain va, paisible
; elle ne condamne ni n'approuve, ni ne juge ou réflèchit ; interrogée sur la
banalité de cette brutalité nouvelle, elle dirait que c'est ainsi, et que c'est
ainsi que ce doit être puisque c'est ainsi, et satisfaite d'avoir
démocratiquement raisonné, elle regardera encore et encore sur son téléviseur
et ses téléphones les images de l'injustice, sans les vraiment voir, et lorsque
, ce soir ou demain, cela s'aggravera encore, elle le verra et ne le saura
point.
On ne devrait pas tarder à s'apercevoir que le gaullisme fut un humanisme, y compris en pleine guerre d'Algérie – en tout cas par rapport à notre socialisme actuel. Même ce bon Marcellin de mon adolescence va finir par paraître longanime, c'est dire !
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