Ce n'est pas pour entendre d'Alembert prononcer l'éloge
funèbre d'érudits confrères disparus l'année précédente ( Jurieu et Duhamel )
que la foule se presse sur les gradins
de l'Académie royale des Sciences, au Louvre,
ce mardi 29 avril 1778, non, ce
qui a fait accourir l'élite éclairée de Paris,
c'est le bruit que seraient
présents à la séance les deux plus fameux philosophes de ce temps, M. de
Voltaire et le Dr. Franklin.
Et brutalement,
alors que s'est à peine tu d'Alembert et qu'un sociétaire s'apprête à lire une
communication sur la composition chimique du vin, un tumulte enthousiaste
bouleverse l'ordre de la séance – ils sont là, tous deux, les pourfendeurs de
tyrans, le Français et l'Américain , et ce n'est qu'un cri, il faut qu'ils se
présentent l'un à l'autre, sous les yeux de la multitude de leurs admirateurs !
Ils obéissent, et
s'avancent pour se rencontrer le squelettique et agonisant Voltaire, le solide
et robuste Dr Franklin, ils s'inclinent l'un devant l'autre, échangent quelques
phrases que l'on ne peut entendre, ce n'est pas assez , " qu'ils se rapprochent !"
demande la foule , les deux hommes se prennent les mains, mais il faut plus :
--Embrassez-vous, crie-t-on, il faut s'embrasser, à la
française !
"Alors, écrira, en 1806,
dans son Autobiography John Adams,témoin de la scène et futur Président des Etats-Unis
d'Amérique, ces deux vieux acteurs du grand Théatre de la Philosophie et de la
frivolité se serrèrent dans leurs bras et s'embrassérent sur les joues , le
tumulte redoubla et ce cri se répandit aussitôt dans tout le Royaume et je
suppose toute l'Europe :
" Qu'il était
charmant . Oh ! il était enchantant de voir Solon et Sophocle
embrassans."*
En lisant ce récit, que j'avais compté utiliser pour une Histoire des Etats-Unis d'Amérique dont la rédaction est arrêtée à la onzième page, j'éprouvais des sentiments habituellement opposés , trouvant la scène à la fois ridicule et sublime -- mais si le ridicule n'est jamais sublime , le sublime, lui...
*En français dans le texte de John Adams.Sic.
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