Il se trouve cette année en France selon
l'INSEE, service de M. Etat, soixante-six
millions d'habitants.
Il y a quelques jours, ces soixante-six
millions d'êtres humains furent appelés par les
plus hautes autorités et leurs
porte-voix subventionnés à marcher en troupeau, dans les plus modestes hameaux
ou les plus fières mégalopoles.
Cette marche, à la fois une par son esprit
et diverse par les chaussées parcourues, se déroula donc --restait à dénombrer le total des vaillants
participants.
Des chiffres circulèrent, je les arrondirai
avec générosité à l'unité supérieure, et écrirai ici que ces marcheurs furent cinq millions.
Cinq
millions sur soixante-six millions...,
un rapide calcul permet d'observer qu'il manqua, à cette marche, soixante-et-un millions de marcheurs
potentiels (et médiatiquement convoqués).
Certes, l'honnêteté suggére de déduire de
cette clientèle potentielle les
bipèdes qui ne sont pas en état de marcher, tels que nouveau-nés, femmes
grosses prêtes à vêler, vieillards perclus de goutte, cul-de-jattes, agonisants
et comateux, sourds qui n'ont pas entendu les appels, etc., estimons ces divers
zhandicapés à un symétrique cinq millions, voilà notre potentiel réduit à soixante-et-un millions, dont nous allons ôter
nos cinq millions de fiers marcheurs, et apparaît la cruelle réalité comptable
: cinquante-six millions de citoyens
(et citoyennes, et transgenres) n'ont pas
marché.
Comment expliquer cette surprenante, et
très-massive, indifférence?
Jetons un coup d'œil sur une gazette parue
ce matin et devenue le nouveau Journal officiel de la République , gazette qui
se nomme Charlie (hebdo).
A sa Une,
au-dessus d'un joli portrait de M. Mahomet, cette gazette (et je ne doute pas
que les survivants aient été inspirés par les esprits des morts) proclame :
"Tout est pardonné!".
Le pardon n'abolit pas seulement l'atroce
vengeance, l'acide rancune ou l'humble ressentiment, il entraîne nécessairement
–et c'est même une condition de sa sincérité—l'oubli des injures (ou des
balles) reçues, ainsi efface-t-il jusqu'au souvenir de l'évènement qui en fut
la cause.
Puis-je émettre l'hypothése que les cinquante-six millions de non-marcheurs (valides) eurent le
pressentiment de cette éradication et préférérent vaquer à leurs routines
dominicales plutôt qu'user leurs souliers pour une affaire bien vite rayée de
toutes les mémoires?
Cette hypothèse exonère cette multitude du
péché d'insensibilité, et nous évite de remettre en question le dogme de la
bonté de l'Homme.
PS. J'ai emprunté le titre de ce billet à M. Shakespeare.
J'aurais bien du mal à ne pas vous approuver totalement !
RépondreSupprimerJe ne suis pas toujours critique : j'approuve ce commentaire.
SupprimerCe commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
RépondreSupprimerTrès estimé Monsieur Desgranges :
RépondreSupprimerVous écrivez, dans votre liste des personnes n'étant pas venues à la manifestation, qu'il manquait les "sourds qui n'ont pas entendu les appels". En fait les sourds ont eu droit à l'explication de l'attentat en langue des signes :
https://www.youtube.com/watch?v=5xWNfTiWmsY
Donc s'ils ne sont pas venus ce n'est peut-être pas à cause de leur surdité mais par manque de "Charlie attitude"...
Très bon billet sorti de votre plume, très lucide : il ne faut pas remettre en question le dogme de la bonté de l'Homme, surtout pas au "Bisounounourstan"...
Merci, Madame.
SupprimerEt pour les aveugles, quelle images?
Monsieur Desgranges
SupprimerLa doxa du "vivre ensemble" et la "Charlie attitude" s'imposent à tout le monde, même les aveugles !
http://vivrefm.com/infos/lire/2411/les-caricatures-de-charlie-hebdo-audio-decrites-pour-les-lecteurs-aveugles
Donc, à moins d'être un ermite inuit misanthrope et sans famille isolé sur sa banquise, sans internet et ne voulant plus recevoir aucune nouvelle de l'humanité, nul ne peut échapper à "Charlie"...
(De vous à moi l'ermite inuit a bien de la chance.)