david in winter

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Editeur. Ecrivain. Dilettante

mercredi 25 février 2015

Ingénieuse innovation pour le "vivre-ensemble"

         

    The hollow crown regroupe trois adaptations cinématographiques, produites pour la BBC, de drames historiques de William Shakespeare; j'en fis l'acquisition il y a quelques mois, pour l'enfouir sous une pile de dvd et blu-ray à voir un jour, lointain.
   Pour des raisons que je cèlerai, j'en extirpais hier Henry V, que madame mon épouse et moi regardâmes.
   Nous y prîmes du plaisir, les coupes, nécessaires pour ramener l'œuvre à une durée, déjà coquette, de 133 minutes, ne nuisent pas au récit, les acteurs sont très bons –et Mme Mélanie Thierry, dans le rôle de Catherine de France s'efforçant de retenir quelques mots d'anglais est absolument adorable-- , les décors crédibles, et la bataille d'Azincourt ( Agincourt in english), dans laquelle périt la fleur de notre noblesse (y furent tués huit mille quatre cents gentilshommes dont six princes du sang...) est agréablement sanglante.
   J'eus pourtant un mouvement de surprise (i-e : je donnais un coup de pied à madame mon épouse qui s'assoupissait) en observant que l'acteur jouant le rôle du duc d'York – a cousin to the king  -- était un monsieur à la peau indiscutablement noire.
    Certes, cet acteur est de mine avenante et, même s'il semblait un peu surpris d' être devenu, en 1415, un parent du Roi d'Angleterre, son jeu ne mérite que des éloges.
   Sa présence, pourtant, entraîne quelques interrogations.
   Quelques producteurs de ce Henry V sont des gens d'Hollywood qui doivent sincérement croire qu'il se trouvait des Africains dans la parentèle des Plantagenêt, mais je soupçonne qu'il y a, dans ce choix de distribution, une habile volonté de promotion du vivre ensemble.
   Il semble en effet intégrant de montrer aux jeunes britanniques d'origine exotique et de l'an 2015 que, six siècles plus tôt, leurs ancêtres occupaient de hautes charges en une Cour ignorant tout racisme, et je pense qu'il serait bon que les producteurs français (et subventionnés) imitassent l'effort pionnier de la BBC.
    Cherchons donc dans notre répertoire dramatique, hélas assez pauvre en drames historiques et nationaux, mais nous pourrions y puiser cependant Le Siège de Calais (1765) de M. de Belloy, en choisissant pour interpréter les fameux bourgeois des hommes venus des plus lointaines contrées, dont le teint d'ébène formerait un plaisant contraste avec la blanche corde entourant leur cou.
   Ou un talentueux scénariste pourrait, en ne forçant qu'à peine la réalité historique, montrer de rudes combats navals dans lesquels, au temps de l'alliance de François Ier avec le Grand Turc, des soldats français lutteraient côte-à-côte avec des janissaires mahométans contre les catholiques matelots et galériens de Charles Quint.
   Mais je préférerais que fût, selon nos nouveaux principes, adapté pour les grand et petit écrans, Les Druides (1772) de M. Le Blanc de Guillet, tragédie en tout point conforme à l'esprit des Lumières; on y pourrait ainsi voir qu'aux temps les plus reculés le peuple de la Gaule était déjà heureusement arc-en-ciel, et ce serait alors en toute légitimité que, dans nos belles salles de classe de pimpantes banlieues, de joyeux et multicolores bambins ânonneraient de nouveau et fièrement nos ancêtres les Gaulois.

mardi 24 février 2015

En l'honneur d'Elie Fréron

      

   En réponse à un billet hostile à Voltaire, d'une argumentation médiocre et d'une mauvaise foi infantile, publié sur le site socialiste-national Boulevard Voltaire, M. Dominique Jamet, qui en est l'animateur et fut jadis, pour de menus services rendus,  récompensé d'une grasse sinécure  par feu François Mitterand, se livre à une violente attaque contre Elie Fréron, qu'il qualifie d'individu "obscur et visqueux" (?).
    Il est vrai que la victoire du parti des "philosophes" a rejeté dans les ténèbres extérieures un grand nombre d'auteurs du XVIIIème siécle coupables de n'avoir jamais caché leur fidélité au Trône et à l'Autel.
    Manquaient-ils de talent? Il faudrait, pour répondre, se donner la peine de les lire.
    Dans un recueil de chroniques intitulé Le purgatoire, et que je ne saurais trop conseiller à quiconque ne se fie pas aux jugements officiels, M. Pierre Gaxotte raconte quelles circonstances lui permirent de lire quelques deux cents numéros de L'année littéraire, la gazette que dirigea Elie Fréron (1719-1776), et il ne cache pas le grand plaisir que lui donna cette lecture.
     La collection complète de L'année littéraire, fondée en 1754, étant introuvable, j'avoue n'en posséder que les numéros des années 1755, 1757, 1758 et 1759, ce qui est suffisant pour m'assurer que cette publication fut, tant par la diversité et l'impartialité de ses jugements que par la rigueur et l'exhaustivité de ses recensions, la meilleure des très nombreuses gazettes publiées en ce temps, et l'on ne s'étonnera pas que Voltaire en fut le lecteur assidu, demandant avec impatience à ses visiteurs venus de Paris s'ils lui en apportaient bien la dernière livraison.
    Sur Fréron lui-même, on peut parcourir Les confessions de Fréron,sa vie,souvenirs intimes et anecdotiques, ses pensées, recueillis et annotés par Ch. Barthelemy (Paris, 1876) qui montre que cet homme jadis célèbre fut aussi, moralement et intellectuellement, très digne d'estime.
   Je n'ai pas ici la place de dire ce que fut le terrorisme intellectuel que firent régner les "philosophes" au temps d'étranges lumières et je crains qu'il soit inutile de déplorer que les effets en durent encore aujourd'hui, peut-être plus  par paresse intellectuelle que conformisme idéologique.
   Je ne fournirai donc pas une bibliographie étendue des écrivains qui s'opposérent aux idées nouvelles, citant seulement deux ouvrages que je crains d'être bien seul à lire en cette fin d'hiver 2015 :
*Dictionnaire anti-philosophique, pour servir de Commentaire & de correctif au Dictionnaire philosophique, & autres Livres qui ont paru de nos jours contre le Christianisme (Avignon, 1758 , également publié sous le titre : Anti-dictionnaire philosophique);
*Les grands hommes vengés, ou Examen des jugements portés par M. de V. [Voltaire] & par quelques autres Philosophes sur plusieurs hommes célèbres, avec un grand nombre de remarques critiques & de jugements littéraires, par Monsieur des Sablons (Amsterdam, 1769, 2 vol.).

mardi 17 février 2015

Internet et tournevis

   

  Beaucoup de libéraux, particulièrement ceux qu'un miracle empêchera de jamais atteindre l'âge adulte quoique puisse affirmer leur état-civil, se plaisent à se prosterner devant le dieu Internet, tout en prenant un ton autoritaire pour fortement inciter autrui à manifester la même vénération.
  Dans un mouvement propre à tous fidéles d'une nouvelle foi (ou néophytes) ils expriment des revendications fondées sur un credo dans lequel la raison a peu de part.
   De ces revendications, l'une des plus curieuses, que j'ai encore rencontrée ce matin, est que Internet est, doît être, doît demeurer (etc.) libre et démocratique.
   Internet est un outil , et qu'il soit un outil de communication ne change rien à sa nature d'outil, comme l'est un marteau, dont (jusqu'à ce jour) personne n'a jamais songé à proclamer qu'il fût (et dût être) libre.
    Considérons un tournevis. Si M. Dupont utilise cet objet pour en enfoncer la lame dans l'œil de son voisin, et qu'on lui fasse remarquer que c'est là un usage interdit, faut-il en conclure qure le tournevis n'est pas libre?
   Ou que l'auteur de cette étrange proposition a confondu la chose et son usage?
   Dans le cas d'internet, l'usage de cet outil tombe, comme pour tout outil, sous le droit commun de la loi et là où la loi, comme en France, a aboli, par exemple, la liberté d'expression ou la liberté du commerce de certaines substances, quiconque utilisera internet pour tenir des propos interdits ou vendre des produits prohibés, courra un risque élevé d'être envoyé aux galères, d'autant que les nouvelles technologies permettent de débusquer avec la plus grande facilité tout contrevenant (il était moins aisé de trouver les écrivains du samizdat dont les textes étaient polycopiés).
   Aussi, réclamer un "internet libre" est-il se tromper de combat, car il serait improbable que M. Etat permît de faire via internet ce qu'il continuerait d'interdire avec un papier et un stylo.
   Quant à un internet démocratique, je me suis (brièvement) interrogé sur le sens (très éventuel) de cette formule; voudrait-elle dire que l'outil internet doit muter en un gouvernement élu au suffrage universel? Ou que quiconque s'en servirait pour émettre quelque critique sur cette démocratie, dont l'expérience prouve qu'elle ne peut conduire qu'au plus féroce collectivisme, doit être privé de la liberté d'utiliser cet outil?
    En dehors de ces considérations théoriques, je constate que, à cause d' internet, j'ai perdu une demie-heure à écrire de petites bêtises plutôt que poursuivre la lecture de l' Histoire du Concile de Trente de fra Paolo Sarpi dans la traduction de Le Courayer (1751, 3 vol. in-4°).
   M'en voici fort marri.

samedi 7 février 2015

Une artistique sodomie

      

    Une majestueuse et très prospére, car nourrie par le contribuable, institution de M. Etat, le Centre Pompidou présente ces jours-ci, et jusqu'au 27 avril, soit une durée suffisante pour que les masses viennent admirer en masse, une rétrospective de l'œuvre de M. Jeff Koons, sorte d'artiste officiel que la France entière s'honore d'honorer.
    Il se trouve dans ma bibliothèque un beau volume, bien relié, tout en couleurs, de grand format et de 594 pages, publié en l'an 2009 par mon excellent confrère Benedikt Taschen, lequel volume, justement, est consacré à l'œuvre de M. Jeff  Koons.
    Feuilletons.
    Nous apprenons ainsi que, il y a quelques années, M. Jeff Koons convola en justes noces avec une aimable créature qui connut une notoriété certaine autant en tant que parlementaire européenne que comme actrice de films divertissants, et qui se faisait alors appeler La Cicciolina.
    M. Jeff Koons ne manqua pas de s'acquitter du devoir conjugal et, puisqu'il est un artiste,  il s'empressa de réaliser, ou de faire réaliser par un complice, de pimpantes photographies de ses ébats. Ainsi pouvons-nous admirer, page 358, une vigoureuse sodomie de la jeune mariée (qui ne quitte pas pour autant ses élégants escarpins à talons aiguille) , ou, page 366, regretter que M. Koons gaspille sur la langue de Madame son épouse tout un flot de petits Jeff Koons qui n'accéderont jamais à l'âge adulte.
    Comme il se doit, des tirages géants de ces joyeuses images furent exposés dans les plus prestigieuses galeries, avant de rejoindre les cimaises de musées tout aussi prestigieux.
    Un béotien observerait que ces œuvres sont fort semblables à celles que des couples libertins, et coquinement exhibitionnistes, se plaisent à afficher sur des sites réservés aux adultes, un tel propos implique trop de mépris pour la fonction de l'artiste pour que l'on s'abaisse à le relever.
    D'autant que M. Koons, qui est doté d'un rare génie pour maximiser ses profits, a eu l'intelligence de tirer de la représentation de ses copulations des produits dérivés tels que statuettes (mais je n'ai pas vu de tee-shirts), ce que ne font pas les impudiques amateurs.
    Rien de plus normal, lorsque l'on sait que désormais l'art est dans l'intention, et qu'un gouffre esthétique sépare le vulgum pecus qui a juste l'intention de tirer un coup du Maître qui transcende le même acte par son intention d'en échanger la représentation contre un chèque à la hauteur de son statut (artistique).
    L'honnêteté m'oblige à dire que la production de M. Koons ne se limite pas à la catégorie des curiosa, bien au contraire, il a fabriqué (ou fait fabriquer) une multitude d'objets étranges, et souvent fort rigolos, son univers est celui du gadget, et il y excelle.
    Il y a pourtant une différence essentielle entre le gadget et l'œuvre d'art (officielle), alors que le premier s'acquiert pour deux ou trois sous, il faut, pour posséder la seconde, débourser quelques centaines de milliers, parfois même des millions, de dollars ($$$).
     Conceptuellement , cette différence a été parfaitement analysée par M. Tom Wolfe dans Le mot peint , texte court, incisif,  et très suffisant pour comprendre la grande imposture de l'art contemporain.
     Et qui n'a eu aucun effet.
     Certes sont ici en jeu les immenses intérêts matériels d'une multitude d'individus (directeurs de musées, galeristes, spéculateurs, critiques, agents, coach embauchés par des nouveaux riches –très riches—pour les conseiller dans leurs achats, etc.) mais je vois ici dans cette imposition tyrannique du prétendu art contemporain une dimension plus fondamentale, qui est sociale, et consiste à ériger en dogme le relativisme culturel.
     Nier celui-ci, ou le seulement critiquer, reviendrait à rétablir une hiérarchie des valeurs, un insupportable blasphème.

   P.S. Foin de toute modestie...J'ai, dans mon roman Une femme d'Etat, montré en action quelques tireurs de ficelle (fictifs?) du plaisant monde de cet art contemporain.