david in winter

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Editeur. Ecrivain. Dilettante

mardi 3 décembre 2013

Loi et joyeusetés fiscales



  Dans leur amusant ouvrage intitulé 39 petites histoires philosophiques d'une redoutable simplicité (Paris, 2005) qui soulève divers paradoxes (plus ou moins) philosophiques, MM. Roberto Casati et Achille Varzi consacrent un chapitre à une question fondamentale pour tout citoyen, ou sujet.
  Ils imaginent ce dialogue entre un argousin verbalisateur et un automobiliste garé en "stationnement interdit" qui se défend en invoquant son ignorance de la loi édictant cette interdiction:
  "L'agent—La loi c'est la loi, nul n'est censé l'ignorer.
   Lui—"Nul n'est censé ignorer la loi", c'est écrit où ?
   L'agent – Nulle part.
   Lui—Donc ce n'est pas une loi. (...) Si ce n'est pas une loi écrite, je ne suis pas tenu de la connaître, et donc de l'observer.
   L'agent—Supposez qu'existe un corpus de lois recueillies sous la forme d'un livre. La loi numéro Un dit : "Tous doivent lire ce livre."
   Le paradoxe est évident : l'obligation de lire le livre figure dans le livre même, qu'il faudrait donc avoir lu antérieurement  pour savoir qu'il faut le lire. Et supposer un autre code, supérieur et fondateur, qui exprimerait cette obligation ne résoud rien – puisque cette obligation de connaissance figurera toujours dans un texte qu'il faudrait lire avant de l'avoir lu...
   L'agent se sort, ou croit se sortir, de cette difficulté par un argument d'autorité existentiel:
    "—Que nul ne soit censé ignorer la loi est une condition de l'existence de la loi et donc d'une société comme la nôtre. Ce n'est pas une règle, mais une façon de faire, une pratique; une "forme de vie", comme disait Wittgenstein. (...) Naturellement on peut toujours faire une révolution conceptuelle  et essayer de changer la forme de vie."
   C'est là l'argument traditionnel de M. Etat, qui fonde moralement et juridiquement son existence sur le seul fait qu'il existe : cela est, et il est bon que cela soit, parce que cela est.
   Il en va de même pour le prétendu contrat social, que nul n'a jamais signé ou accepté, parce que jamais ne lui en furent montré les termes, ni ne lui fut proposé d'y adhérer ou de le refuser.
   Si, philosophiquement, juridiquement, moralement, rien ne fonde ni ne justifie l'obligation de connaître la loi, il n'en va pas de même dans la pratique , où un brutal rapport de forces entre M. Etat et le citoyen pousse ce dernier, par prudence, à se soumettre à des lois qu'il est censé connaître.
   Mais peut-il , dans le fait, connaître les dizaines de milliers de lois , taxatoires ou prohibitives, dont le volume s'accroît chaque jour ?
  Anecdote.
  L'un de mes amis emploie pour l'entretien de sa propriété diverses personnes, dont le salaire est déductible de ses impôts. Faisant sa déclaration de revenus, il reporte très exactement dans la case ad hoc du document destiné au fisc le montant que l'organisme d'Etat par où transitent les salaires de ces personnes lui a indiqué de reporter dans ladite case, sans restriction ni éventuelle ventilation.
   Quelques mois plus tard, il reçoit du fisc un redressement sous prétexte que le salaire de l'un de ces employés n'est déductible que partiellement, en vertu d'un article du ... code du travail. ( Redressement agrémenté non d'une pénalité, en raison de sa bonne foi, mais d'une majoration pour "manque à gagner de l'administration").
   Ce n'est donc pas telle ou telle loi que nul n'est censé igorer, mais la loi, tout qui englobe la totalité des lois existantes , y compris celles qui, a priori, semblent hors sujet , et le malheureux qui, pour se soumettre aux spoliations de M. Etat , aurait pris la peine de lire les milliers de pages du code général des impôts ne sera pas à l'abri des coups de bâton, pour avoir négligé les multiples autres codes de ceci ou de cela.
  Sortant des nuées philosophiques, je demanderais volontiers à M. Etat comment , dans la vraie vie, un individu peut connaître toutes les lois, mais à cette question, je pense que j'aurais pour toute réponse un " cela ne me regarde pas."
  Suivi d'un impérieux : "mais que ma volonté soit faite."

3 commentaires:

  1. "[...] que ma volonté soit faite". Il y a du Peillon là-dedans. Foie d'nantais.

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  2. Foie de Nantais? Rectifié au muscadet, donc?

    lE foiE, lA foi (sans E)...fichue orthographe française...

    Popeye

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    1. Conservé au muscadet, bien sûr. Pour le reste, c'est une coquetterie de nantais -usée jusqu'à la corde, une fois ;-)

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