david in winter

david in winter

Editeur. Ecrivain. Dilettante

samedi 28 décembre 2013

La belle année du Président



  Rhéteur invincible et humoriste délicat, le Président avait reçu de la Nature des dons moins éclatants pour le calcul; on se souvient que, voulant célèbrer le centenaire de la guerre de 1914, il avait posé sur un petit papier: "1914" puis: "+100" , "résultat : 2013", et avait décidé en conséquence de la date des cérémonies, en ce frisquet matin d'hiver, il avait entrepris, afin de faire le bilan de l'année écoulée, d'en déterminer le dernier jour, pour cela, il avait ajouté "365" à "0", obtenu ainsi "362", et  l'assurance que ce 28 décembre terminait cet an 2013 qui fut pour lui... glorieux? admirable ? ou simplement, excellent?
   Sur la première page du registre de ses res gestae, il écrivit:
  *Je suis toujours vivant.
   Certes, c'était là un faible exploit, en raison des progrès de la pharmacopée et du remplacement d'organes fâcheusement périssables par des substituts en inaltérable matériau, mais le distinguait du commun d'avoir survécu à un attentat, commis par un membre de l'ordre mendiant des théatreux qui, mécontent de la modicité des aumônes reçues, avait , en roulant à un pas de sénateur se rendant en séance, effleuré du parechoc de son véhicule la grille du parc présidentiel.
   A la seconde ligne, il mit:
  *Je suis toujours Président.
   Il posa son stylo, se renversa en arrière , yeux fermés pour mieux savourer cette pensée, oui, il était toujours Président, et il l'était pleinement – son salaire n'avait pas diminué, ses demeures, dont nul (pas même l'accorte Leonarda)  n'avait songé à le déloger pour le faire camper en un plus modeste habitat, étaient toujours chauffées et peuplées d'une abondante domesticité, ses courtisans, ses commis, ses gens de medias et son Parlement éxécutaient sans broncher ses ordres, tout en en louant l'à-propos et la justice, quant à son train de vie...
   Ah! son train de vie!
   Il continuait, contrairement à toutes les régles imposées à autrui, à faire somptueusement entretenir Concubine numéro 2 par ses sujets, il était allé visiter , avec son avion high cost maintes terres étrangères, que ce fût pour bavarder avec des collègues aux obsèques d'un saint très-sensible, recueillir les applaudissements d'indigènes arc-en-ciel, ou distribuer des faits culuturels, avions Rafale et autres menues monnaies, il avait pu, chaque mois, chaque semaine, chaque jour, dépenser sans compter grâce au miracle toujours renouvelé de l'emprunt-qui-ne-se-rembourse-pas, il s'était même, et surtout, offert, ce qui n'est pas à la portée du premier smicard venu,  le plaisir de la guerre, envoyant l'élite de ses troupes conquérir déserts, jungles et savanes, et même océans et banquises ( comme le lui avaient affirmé ses experts).
    Aussi écrivit-il:
     *Fidéle au dogme des Grands ancêtres, j'ai méprisé l'argent.
      Que s'était-il passé d'autre ? Il chercha... Il avait ouï dire que des manifestants s'étaient opposés à certain projet de nature matrimoniale, ces passéistes avaient été ignorés et ce fut comme s'ils n'avaient jamais existé, dans une province aisément séditieuse naquirent des commencements d'émeute, une distribution de billets fraîchement imprimés ramena le calme,  plus grave, l'hydre raciste avait rugi de toutes ses gueules, mais le glaive de la loi en avait coupé plusieurs têtes ( en en conservant quelques unes pour nourrir de prochains touitts triomphants) et son chef de la police avait fait écarteler un raciste à peau noire, coupable, selon la belle expression de l'argousin, d'être en dehors de la dimension créative ( ce que le nouveau code pénal punit sévèrement, mais justement).
   Le Président commença de ronronner – quelle belle année! – mais une pensée parasite le troubla... et... la Courbe ?
   Il réfléchit. Une courbe, et même la Courbe , n'est autre qu'une ligne, laquelle est formée d'une suite de points. En cette occurrence chaque point représente un chiffre ( ou un nombre, le Président n'avait jamais bien su la différence) qui est le chiffre, ou le nombre, de ces déplaisants individus nommés chômeurs. Pour des raisons mystérieuses, mais où l'on pouvait voir la main de l'islamophobie, de l'homophobie, de l'hydrophobie et autres activités subversives, ce chiffre ( ou  nombre) ne cessait de changer, avec un certain goût pour l'augmentation. Il en résultait que la Courbe tracée selon ces chiffres (ou nombres...) allait vers le haut, et dans un moment d'étourderie, le Président avait dit qu'il la ferait aller vers le bas.
   Cette mauvaise volonté de la Courbe alimentait d'aigres propos d'opposants mais, et le Président considéra froidement la réalité, était-il pour cela moins vivant, moins Président, ou privé de son train de vie ? Et qui n'était pas Président, dépourvu d'argent de poche et médiocrement vivant?
    Il haussa les épaules – l'ithyphallisme de la Courbe n'avait aucune influence sur son être (ni sur ses avoirs), il se promit de ne plus s'en soucier et, puisqu'était terminée une année parfaitement heureuse, il allait consacrer les prochains jours à lire les œuvres complètes de Louis Blanc, Auguste Blanqui et Gracchus Babeuf afin d'y puiser l'inspiration d'actes qui feraient de 2015 (ou 2016?) un temps d'encore plus parfaite prospérité, pour lui.

9 commentaires:

  1. Décidément, vous êtes bien parti pour être le Saint-Simon de notre estimé Président.
    Bravo!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh non!
      Si l'on oublie modestement la différence de talent, les personnages ici évoqués sont de pitoyables pygmées à côté des hommes et des femmes qui excitaient la verve de M. de Saint-Simon.

      Supprimer
  2. Vous savez rendre avec une exactitude enjouée la pensée profonde de notre glorieux Conducator (Il terrassa l'Islamisme, expulsa le Rrom bosniaque et mata le Trublion d'Oubangui-Chari, grâces lui soient rendues !). Merci d'avoir mis votre talent au service de sa gloire !

    RépondreSupprimer
  3. "l'accorte Léonarda" : j'ai éclaté de rire car ce n'est pas cet adjectif qui me venait à l'esprit quand je pensais à Léonarda. Merci, Monsieur Desgranges, pour cet éclat de rire, bien rare par les temps de sinistrose actuels.

    RépondreSupprimer
  4. Monsieur Desgranges, comment voulez qu'un gars comme moi vienne faire des commentaires corrects quand il est obligé d'ouvrir un dictionnaire pour chauqe nouveau mot qu'il trouve comme par exemple: "'ithyphallisme" ; selon monsieur Google, cela voudrait dire; petite quéquette chez les grecs, je savais que ce peuple avait un problème d' orientation sexuelle maintenant je comprends mieux pourquoi mais de cela j'aurais du m'en douter car qui peut faire parader des soldats habillé en jupette ( les evzones) avec des chaussures à pompons même si ces derniers étaient de redoutables soldats.

    Sinon rien à dire sur ce texte qui est pour moi de la belle littérature qui ne m'ennuie pas, ce qui est rare chez moi,n'ayant jamais atteint les 20 premières pages d'une oeuvre de littérature ancienne ou moderne.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cher Grandpas, Google diffuse surtout des bêtises.
      Le terme qui vous intrigua, et que l'on rencontre en histoire de l'art, désigne un membre viril glorieusement dressé ...

      Supprimer
  5. Juste de passage pour vous signaler la naissance d'un nouveau blog décadent :
    http://dernierelignedroiteavantlasphere.blogspot.ch/

    Joyeuses fêtes

    RépondreSupprimer