david in winter

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Editeur. Ecrivain. Dilettante

jeudi 19 décembre 2013

Le Président et l'ouvrier



Le Président frémissait de cette curiosité impatiente que fait toujours naître dans les âmes d'élite l'attente d'un plaisir aussi rare que délicat, et nouveau.
   Tout était né d'un touitt de l'une de ses suivantes, sous-ministresse de la Culture-d'Etat, qui annonçait  la promotion en tête de liste du Parti pour un prochain tirage au sort régional et européen d'un... ouvrier! -- un working class hero !, avait même précisé la paritaire créature, montrant ainsi sa maîtrise de la langue indigène (source : Libération,  gazette subventionnée).
  Un ouvrier ,  un vrai, au Parti du Président!, là où jusqu'alors on ne croisait, pour le petit fretin, que du bas fonctionnaires (instituteurs, agents du fisc, gardiens de musée, etc. ) et, pour le gratin, que des hauts fonctionnaires (énarques de cabinets, dirigeants de banque, affairistes adipeux, etc.), l'extraordinaire nouvelle chassait des téléviseurs et des smartphones les guerres coloniales, les peaux de banane du racisme ou les derniers orgasmes des prostituées exilées, et cet ouvrier, le Président avait  ordonné qu'on le lui apportât.
  Une difficulté s'était d'abord présentée, cet ouvrier, fallait-il que le Président le contemplât mort , ou vivant ?
  Mort, cela présentait l'avantage d'un examen serein, de pouvoir tenir un discours sans crainte d'une parfois irritante contradiction et surtout, cela  offrait la possibilité de le faire ouvrir pour voir comment c'est fait, à l'intérieur, un travailleur, les différences des organes, le volume du cerveau, s'il s'en trouve un, ou encore, la texture d'un cœur généreux quoiqu'exploité .
  Vivant, permettait d'échanger, ce qui est une valeur chère aux magazines féminins, puis d'observer comment bouge ou s'exprime une créature d'une aussi radicale altérité (comme eût dit feu M. Levinas).
   --Nous lui laisserons le choix, avait décrété le Président, qui n'aimait pas décider.
    L'ouvrier avait choisi, et était maintenant attendu dans le palais présidentiel.
    Suivant les conseils d'un expert, M. Aymeric de La Rochetarpéienne, professeur d'anthropologie prolétarienne à l'Université des Minguettes, un salon Napoléon III avait été meublé d'une table de pin couverte de toile cirée rouge entourée de chaises de plastique rouge, aux murs, des portraits de Mikhail Bakounine, Alexey Stakhanov et Maurice Thorez , sur un guéridon avaient été jetés, en un faux désordre, deux romans d'Emile Zola exaltant la noblesse du prolétaire, La bête humaine et L'assommoir, dont des pages étaient cornées, pour indiquer une lecture en cours. Pour ne pas froisser son hôte par le port d'un habit bourgeois, le Président avait revêtu une ample blouse empruntée au Mobilier national et que serrait sur son ventre une ficelle, s'était chaussé de sabots et coiffé d'une casquette à carreaux, élimée.
   --C'est l'ouvrier ! aboya une femme en haillons qui remplaçait l'huissier en livrée.
    L'homme entra. Rasé de frais, le cheveu impeccablement coiffé, fumant un Monte-Cristo de chez Fidel Castro, il portait un costume fort bien coupé, et sur sa chemise de soie bleue éclatait une cravate club de chez M. Charvet.
    --Salut!, fit le Président, qui ajouta :
    --Salut.
    Il était embarrassé, car  il ne savait s'il devait tutoyer ou vouvoyer cet ouvrier dont l'apparence le déconcertait, et il se résigna à faire l'effort de tourner ses phrases de façon à éviter aussi bien le tu que le vous.
   --C'est gentil d'être venu, mon brave, dit-il. Mon brave veut-il s'asseoir?
    Ils prirent place, un aide de camp déguisé en pauvre apporta un plateau avec un five o'clock tea adapté à la situation – saucisson, camembert, miche de gros pain, litre de rouge, mais pas de verre, car, avait expliqué l'expert, ces gens boivent au goulot.
     De ses augustes doigts, le Président se saisit du camembert, qui coulait crémeusement, le tendit à l'ouvrier.
     --Je préférerais des macarons, dit l'homme. A la pistache. De chez Ladurée. Avec du thé au jasmin.
    --Je vais appeler..., et le Président se lança:
   --Et les machines, elles tournent? Y a de l'huile où qui faut ?
   --Les machines, cela fait un bail que je n'en ai pas vu une! J'y ai été trois semaines, mais n'étant pas assez bête pour me salir les mains comme mes camarades de moindre intelligence, j'ai vite obtenu mon poste au C.E., puis après, je devins délégué du syndicat. Je suis un col blanc, moi, costard cravate, sauf pour les interviews, bien sûr.
    --Ah ah...., fit le Président qui soudain suspecta l'exactitude de l'information reçue à l'ENA sur les classes laborieuses. Et, --il faillit dire "vous", se reprit --, on est content d'avoir rejoint notre cher Parti?
  --Oui, pour le compte en banque, c'est mieux que le syndicat. Etre élu, à Strasbourg,  je me suis laissé dire que ça rapporte gras.
    --Mais ce n'est qu'une première étape, reprit le Président, désireux de se concilier cette utile, et trop négligée,  couche de l'électorat. Quoi d'autre ferait plaisir?
   -- J'y ai pensé. J 'aimerais un maroquin.
   --Un Marocain ?, se méprit le Président , regrettant soudain d'avoir séché jadis le cours sur Gay attitude des sidérurgistes lorrains, part féminine et non-dit. Et... de quel âge?
   --Non, non, Président ! Un maroquin, c'est un portefeuille, une place de ministre, si vous voyez.
     Un ouvrier ministre ? Jamais le Président n'avait envisagé telle innovation et dans sa surprise il laissa échapper:
    --Mais oui, mais oui, bien sûr, je vais  créer ..., un ministére des droits, des droits de... –il cherchait, après les ministéres des droits des transgenres, des espèces disparues, des nourrissons, des allogénes et nomades nécessiteux, des zhandicapés, des plantes vertes et des poissons rouges, sa faculté d'invention se tarissait, il avait peur de prononcer un vocable dépréciatif, opta pour la prudence, dit:
  --Oui, un ministère des Droits, tout court, mais avec une majuscule.
   Et comme la bonté entraîne la générosité, il jouta :
  --Et ensuite, après le ministère, on voudrait quoi?
  --Ensuite ? Je prendrai votre place, répondit l'ouvrier.

13 commentaires:

  1. !!!!
    Ah ah ah !!
    Excellentissime !

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  2. Vous étiez là pour enregistrer la conversation, c'est ça?

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    1. Non, mais en tant qu'historiographe du Président, je reçois les minutes des entretiens qu'il accorde.

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  3. Enfin, après "Une Femme d'État", voici "Un Homme d'État" ! Bel incipit !

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    1. Au détail "Président, qui n'aimait pas décider" près, cher Jacques. Qui pourrait croire qu'existât un tel personnage parmi nos contemporains ?

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    2. En préparation : "Un transgenre d'Etat".

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  4. Excellent!
    Cela me rappelle la visite de François Hollande à Arcelor-Mittal en janvier 2012, pendant la campagne présidentielle. Le candidat socialiste donnait l'impression de visiter l'usine comme d’autres vont au zoo, un peu comme s’il allait observer des espèces en voie de disparition.

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  5. Le vase étant plein de compliments, je n' ajouterais qu'un BRAVO

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