david in winter

david in winter

Editeur. Ecrivain. Dilettante

samedi 16 mai 2015

De l'agression à l'enseignement épuré

         

      Mon ami Pierre Lemieux, auteur d'indispensables ouvrages d'économie et de  philosophie politique, m'adresse ce jour un texte ( op ed ) paru dans le numéro du 30 avril dernier du Columbia spectator, gazette des étudiants de la Columbia University, l'une de ces prestigieuses institutions où se forment les classes dirigeantes américaines (et même du monde vassal).
     Ce texte dévoile un drame, que je ne peux rapporter sans frémir (horresco referens).
     Comme tout drame contemporain, celui-ci déroule son cortège d'horreurs autour d'une victime, en l'occurrence une étudiante en Lit Hum (Litterature humanities pour le profane).
     Par un beau matin  de printemps, notre insouciante héroïne s'en alla paisiblement assister à un cours (de Lit Hum, justement) sans se douter du calvaire qu'elle allait vivre.
     Car le professeur –un homme – entreprit de lire et commenter un passage des Métamorphoses d'Ovide dans lequel est conté l'un des multiples viols que parfois des dieux primesautiers commettaient sur de trop jolies humaines.
    Or il se trouvait que notre étudiante était une survivante, non d'un viol, mais  d'une agression sexuelle (a survivor of sexual assault), laquelle agression commence désormais au regard posé par un mâle sur une innocente femelle.
    Il n'en fallut pas plus pour qu'aussitôt la pauvrette se sentit offensée, outragée, et même en danger dans le vaste amphithéatre empli de ses condisciples ( she did not feel safe in the class), d'autant que l'insensible (insensitive) professeur ne fit qu'insister sur la beauté de la langue d'Ovide, au lieu d'en condamner le propos.
    Toujours vivante cependant, et même survivante , à la fin du cours, notre héroïne s'en fut trouver le professeur pour lui narrer à quel point elle avait été offensée etc., mais, ce qui ajouta à son traumatisme, le maître ne lui tendit pas l'oreille compatissante à laquelle elle prétendait avoir droit (selon la Déclaration des Droits de la Femme).
     D'où la publication , avec la collaboration de quelques camarades (femelles) ejusdem farinae,  du récit par moi résumé, suivi de plaintes, récriminations et demande impérieuse de désormais bannir de l'enseignement les œuvres contenant "un matériau offensant qui marginalise l'identité des étudiants" (offensive materal that marginalizes student identities).
     L'adoption d'une telle mesure épuratrice fera disparaître de l'étude des humanités et de leur littérature la quasi-totalité des textes écrits avant les années 1970 --lesquels sont sexistes, racistes, discriminants, esclavagistes (à la trappe, Aristote!), et parfois même aussi peu républicains que démocrates (aux enfers, Balzac!)--, ainsi il ne restera rien à enseigner, ce qui, comme le prouve déjà et si bien l'université actuelle, ne nuira en rien à la prolifération des étudiants , enfin préservés de tout outrage, offense, agression, et  en parfaite sécurité.

9 commentaires:

  1. Ce billet d'une violence inouïe devrait être signalé par un trigger warning.
    J'ai bien peur de souffrir, du fait de sa lecture, d'un post traumatic stress disorder.
    Mon avocat prendra contact avec vous pour fixer le montant des dommages et intérêts.
    Je ne vous salue pas.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ne pourriez-vous lancer plutôt une "class action" ?

      Supprimer
    2. Hélas, bien qu'étant une bande de jeunes à moi tout seul, je ne suis pas assez nombreux pour lancer une telle procédure...

      Supprimer
  2. J'ai justement dans ma bibliothèque une édition des Métamorphoses enrichie de gravures en taille douce (1738, à Paris chez Nyon père et Didot). Malheureusement, un lecteur ou une lectrice du même acabit a recouvert tous les torses et membres (bras et jambes) nus de pointillés serrés à l'encre noire.

    RépondreSupprimer
  3. La seule solution serait de réécrire toute la littérature et l'histoire en en supprimant tout ce qui, d'une manière ou d'une autre, peut froisser, blesser, marquer à tout jamais ou rappeler peu ou prou de tristes expériences à une personne sensible. Ainsi, les mots "thé", "café", "chocolat", "grog" etc. devraient être supprimés eu égard aux souffrances de ceux qui, buvant le leur trop chaud, se sont brûlé la langue. Ce n'est qu'un exemple parmi des milliers d'autres.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Malheureux, c'est bien entamé en ce qui concerne la littérature pour enfants ou adolescents (cigarette de "Lucky Luke", vocabulaire, mise en page et dessins des aventures du "Club des cinq", modernisation des dessins de "Caroline" avec un peu de politiquement correct, etc.).
      La mise au pas de celle des adultes ne saurait tarder. Les éditeurs, qui sont des bourgeois et des réactionnaires, sont d'ailleurs en retard sur les attentes légitimes des consommateurs syndiqués.
      Il faut, comme pour les aliments ou les films porno, un marquage des livres afin de mettre en garde l'acheteur compulsif. Je me demande, en écrivant, s'il ne serait d'ailleurs pas plus judicieux, de mette en oeuvre le principe de précaution et d'interdire, tout simplement, certains ouvrages.
      Voila du neuf, du moderne, du républicain. Ca devrait devrait plaire.
      C. Monge

      Supprimer
  4. Excellent billet dont l'humour est à la hauteur de la qualité d'écriture.
    si l'on considère que de "ces prestigieuses institutions où se forment les classes dirigeantes américaines (et même du monde vassal)." sont sortis d'incorrigibles menteurs et de glorieux imbéciles comme les Clinton, Bush, Kerry,... alors la réaction de la demoiselle (tant pis si les commissaires politiques du bureau féministe des vérifications des termes désuets me lisent !) semble tout à fait normale et logique, et la démarche de l'enseignant totalement condamnable dans le monde de oui-oui...

    RépondreSupprimer