On sait que, le 19 février 1715, le roi Louis
XIV, d'heureuse mémoire, accorda en son palais de Versailles une audience solennelle
à Mehemet Riza Beg, ambassadeur extraordinaire du roi de Perse, et que les
mauvaises langues, dont M. le duc de Saint-Simon, dénigreur obsessionnel du
grand Roi, suivi de M. de Montesquieu dans ses spirituelles et
fielleuses Lettres persanes,
affirmèrent que cet ambassadeur n'était qu'un imposteur dont le souverain
français fut la naïve dupe, et que le traité de commerce alors signé entre les
royaumes de France et de Perse n'eut aucun effet.
Ce sont là de misérables, et de la part de
ces deux auteurs, habituelles, calomnies.
Dans un excellent ouvrage, Une ambassade persane sous Louis XIV
(Paris,1907) que je viens d'acquérir et lire, M. Maurice Herbette établit, en
utilisant les archives des Affaires étrangères,
la réalité de la qualité d'ambassadeur de Mehemet Riza Beg (et des
effets bénéfiques du traité de commerce) et publie en appendice à son récit
diverses pièces justificatives.
Parmi celles-ci figure, traduite par
l'interprète de l'ambassadeur de France à Istanboul, M. Padéry, la Lettre du Roi de Perse Hussein à Louis XIV,
qui débute par de délicieux compliments odorants et parfumés, et dont j'extrais
ces lignes:
"Le grand empereur [Louis XIV] dont
l'esprit est si éclairé n'ignore pas, sans doute, que les Arméniens (...) sont
obligés de payer à notre trésor un tribut afin de pouvoir conserver leur
religion en paix sans être inquiétés" ( je rappelle que les Perses étaient
mahométans et les Arméniens chrétiens).
Ce texte me fit réflèchir.
J'ai en effet appris par les gazettes que,
d'une part, les caisses de M. Etat sont aujourd'hui fâcheusement vides, et que,
d'autre part, des turbulences nées de divergence de religions troublent la paix
de notre vieille patrie gauloise.
Il ne me fallut guère de temps pour que
s'imposât à mon esprit une solution élégante pour remédier, grâce à un simple
édit, à ces deux soucis.
Il suffit d'établir une religion d'Etat (au
hasard, la religion catholique, apostolique et romaine) puis de faire payer un
tribut (mettons, de dix à trente pour cent de leurs revenus) à tous les fidèles
d'autres religions ( mormons, mahométans, scientologues, shintoïstes, etc.)
pour qu'ils puissent pratiquer librement leur culte et, si les rentrées
s'avéraient insuffisantes pour les besoins de M. Etat, la mesure pourrait être étendue aux divers hérétiques
(nestoriens, anabaptistes, calvinistes, sociniens, ariens etc.).
Et voici le Trésor s'emplir et la tolérance règner, tandis que d'irritantes
dissenssions cédent la place à une fraternelle harmonie.
Ne suis-je pas un digne héritier des bienfaisants philosophes des Lumières?
PS.- L'ambassadeur Mehemet Riza Bey était un individu aussi
arrogant que malpoli, et le récit de son voyage en France, suite d'étonnants
incidents, est fort divertissant.